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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

leurs disciples. Ceux-ci abdiquaient tous leurs droits, n’avaient plus de volonté et s’efforçaient de n’avoir plus de désirs.

Néanmoins, ils méditèrent peu. La méditation n’eut jamais grand charme pour eux ; la culture au contraire et les travaux des champs les captivèrent. La plupart du temps ils y réussirent. Quelquefois ils amassèrent des fortunes. Le professeur Ely qui, tout dernièrement, visita les communautés encore existantes, estime leur nombre à 80, le chiffre de leurs membres à 6,000 ou 7,000, et la valeur de leurs biens à 30 millions de dollars (150 millions de francs). Là encore, il y avait de l’hérédité[1]. Remuer la terre avait été la première occupation et le premier souci des colons de la Nouvelle Angleterre, et c’est, en somme, l’agriculture qui a fait l’Amérique. Peut-être y avait-il aussi un vague panthéisme poussant les hommes à rechercher le rapprochement avec la divinité dans le contact avec la nature. Une telle tendance s’expliquerait doublement ; d’abord par l’étendue démesurée des plaines, l’ampleur des rivières, l’immensité de la forêt en face desquelles l’être humain devait se sentir faible, isolé, porté par conséquent à recourir à une puissance supérieure ; ensuite, par l’influence des Indiens sur qui, précisément, le spectacle des herbes, des eaux et des bois avait opéré dans le même sens. De ce que la race rouge ait été vaincue, presque anéantie par l’invasion blanche, il ne s’ensuit pas que son action sur la race victorieuse en ait été annulée. À y regarder de près, on s’aperçoit au contraire que cette action s’est exercée de plus d’une manière, en politique notamment et en religion. La fédération, formée par plusieurs États souverains, s’unissant volontairement pour la défense de leurs intérêts communs, ne fut pas l’œuvre exclusive des blancs. Avant eux, les Indiens avaient créé un rouage analogue, et pour n’avoir pas été écrite, la Constitution fameuse des Six Nations n’en doit pas moins être considérée comme ayant inspiré ceux qui rédigèrent ensuite la Constitution des États-Unis. De même, les innombrables Esprits dont l’imagination indienne peuplait les solitudes du nouveau monde ne s’évanouirent pas au contact de la civilisation européenne. Les Esprits jouèrent un rôle important dans les conceptions

  1. Il est très curieux de noter que celles de ces communautés qui furent fondées dans une pensée purement économique et sans bases religieuses ont toutes échoué ; le succès, au contraire, s’attacha à celles qui reposaient sur une conception religieuse, si fantaisiste fût-elle.