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LA NOUVELLE REVUE

touchait au plus haut ; s’il sait s’y prendre, il remontera demain. Aucune barrière ne lui est opposée ; on ne lui demande pas d’avoir des quartiers de noblesse ; à peine s’enquiert-on de son passé. L’initiative et l’énergie personnelles ont libre jeu. Il semblait que la charité ne dût pas pousser dans un tel sol. Le mépris habituel de la vie et l’égalité absolue ne lui sont guère favorables. Or la plante est vivace et prompte dans sa croissance, son feuillage est d’une finesse exquise et ses fleurs d’une variété charmante. On l’a constaté en des pages que les lecteurs de la Revue des Deux-Mondes n’oublieront pas : Mme Bentzon, dans ses Études sur la condition de la femme aux États-Unis, a passé en revue toutes les pensées humanitaires et fraternelles qu’elle trouvait sur sa route traduites en édifices, en fondations, en œuvres de tout genre ; elle les a appréciées avec une impartialité sympathique ; si elle s’est préoccupée de mettre de la clarté dans son récit, elle n’a pas eu la peine d’y mettre de la variété. Ce qui frappe de prime abord, c’est précisément la diversité de conception et d’exécution dont toutes ces entreprises portent la marque ; elles s’adaptent toutes aux maux qu’elles veulent guérir ; elles sont faites sur mesure, avec originalité et spontanéité, sans idées préconçues, sans théories et sans systèmes ; leur grande efficacité provient, en outre, de l’absence de bureaucratie, de centralisation administrative. Chaque établissement est autonome ; le contact entre ceux pour qui on l’a créé et ceux qui l’ont créé est incessant et incessamment aussi se manifeste l’intérêt tendre et ému qui descend des uns vers les autres. On réalise, en voyant cela, ce qu’il y a d’étroit, d’impuissant, de desséché dans nos bureaux européens où siège ce personnage néfaste : l’employé d’assistance publique. Tout pays qui borne son programme d’assistance à la distribution du pain et des remèdes ne fait qu’entretenir les malades ; pour les guérir, il faudrait en même temps sécher leurs larmes, celles qui coulent, et celles, plus dangereuses, qui ne coulent pas.

C’est la rudesse, précisément, de la vie américaine qui a fait naître cette belle industrie de la charité privée ; le contraste n’eût pas suffi à remuer la collectivité, mais il a mis l’individu en mouvement. C’est maintenant un devoir pour l’homme arrivé d’aider les anonymes qui viennent derrière lui ; ce devoir, il l’accepte et le remplit sans ostentation, souvent sans mot dire ; il découpe une large tranche de sa fortune et s’en remet aux déli-