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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

cates organisatrices, toujours prêtes à le seconder du soin d’utiliser cette dîme volontaire. En général, plus il est monté haut, plus il donne, mais à condition qu’il soit parti de très bas ; alors, la montagne lui est connue ; il l’a gravie tout entière ; il sait ce qu’il en coûte. Ne lui parlez pas d’égalité, il hausserait les épaules ; il connaît ce terme de prospectus. L’égalité des intelligences et l’égalité des santés existeraient-elles qu’il faudrait encore réaliser l’égalité des chances. J’ai souvent noté, avec confusion et regret, que l’Européen enrichi par son labeur aimait plus son argent et moins son prochain que l’Américain. Celui-ci conserve, parfois, une apparente froideur. Mais son cœur est chaud et l’amour du prochain est sa manière habituelle de servir Dieu.

Ainsi pénétré par la pratique de la charité, le sentiment religieux, aux États-Unis, s’est adouci en même temps que fortifié ; il se traduit en efforts précis et en aspirations réalisables. On n’attend plus un second Messie, une révélation nouvelle ; on admet que l’Évangile est un édifice achevé et non une charpente ; on s’occupe moins de ce qui se passe au ciel et davantage de ce qui se passe sur la terre. Et l’effet de ceci est de rapprocher les prêtres des laïques. Chose curieuse, tandis que les laïques se livraient à des études passablement déplacées sur la nature et les attributs de Dieu, les prêtres avaient une tendance à appeler l’attention des fidèles sur la vie présente. Tocqueville notait déjà cette tendance. « Les prêtres américains, disait-il, n’essayent point de fixer tous les regards de l’homme vers la vie future ; ils abandonnent volontiers une partie de son cœur aux soins du présent : ils semblent considérer les biens du monde comme des objets importants, quoique secondaires ; s’ils ne s’associent pas eux-mêmes à l’industrie, ils s’intéressent du moins à ses progrès et y applaudissent ». Ainsi, aux États-Unis, le clergé vit de la vie générale et par cela même qu’il dépend de la société laïque, il voit son influence sur elle s’accroître et se consolider. On ne le tient pas en suspicion. On n’a pas l’impression que ses intérêts sont opposés, ses sentiments différents de ceux des autres citoyens ; par contre, on ne lui laisse pas le gouvernement exclusif de la religion ; les catholiques eux-mêmes en sont revenus à ces libres pratiques de la primitive église dans laquelle l’assemblée des fidèles mêlait sans cesse sa voix à celle de ses pasteurs.