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LA NOUVELLE REVUE

C’est là un élément de paix ; en voici un autre. Toutes les églises professent cet attachement enthousiaste aux principes républicains et à la civilisation américaine qui distinguent les citoyens des États-Unis et forment la base des associations qu’ils fondent. Il y a, chaque année, cinq ou six anniversaires qu’aucune dénomination n’ignore et qui amènent une prière identique sur les lèvres dissidentes. C’est une intéressante nouveauté. Ailleurs, pareille unanimité est bien rare ; l’intérêt remplace souvent l’élan du cœur ou bien l’autorité civile intervient pour commander la manifestation ; ici elle est spontanée. Se retrouver d’accord — pleinement d’accord — à intervalles réguliers, voilà qui annihile bien des oppositions, apaise bien des querelles et donne en quelque sorte l’habitude de la paix.

On comprend que, dans ces conditions, le parlement de Chicago ait pu se réunir et délibérer. Les quinze dernières années avaient édifié le temple où pouvaient s’abriter ses délibérations, mais immédiatement une question se pose : le temple est-il provisoire ? Va-t-on l’agrandir encore, ou bien est-il destiné à s’effondrer bientôt ? Le zèle religieux s’était uni à l’esprit de tolérance pour le bâtir ; leur union est nécessaire pour le soutenir. Or ni le zèle religieux, ni l’esprit de tolérance ne sont en voie d’affaiblissement ; loin de là. Mais un autre sentiment vient à la traverse dont les racines sont profondes et les progrès notoires. Si les Américains ont renoncé à donner au monde une nouvelle formule religieuse, ils n’ont pas abandonné l’idée d’une église nationale ; cette idée les travaille avec une force dont le plus souvent ils ne sont pas eux-mêmes conscients. Or elle aboutit à des conséquences que la plupart des catholiques n’accepteront pas, à moins de renier leur foi. L’église catholique aux États-Unis est entourée de mirages trompeurs. On s’illusionne sur sa force numérique, sur ses tendances et sur son unité. Ayant moi-même commis l’erreur d’envisager son avenir sous un jour trop optimiste[1], je me sens plus à l’aise pour signaler cette erreur commune à beaucoup de ceux qui ont étudié l’Amérique. Le recensement de 1890 releva 6,250,045 catholiques, 4,589,284 méthodistes, 3,712,468 baptistes, 1,278,332 presbytériens, 4,231,072 luthériens, puis 641,051 disciples du Christ, 540,509 épiscopaliens (anglicans), 512,771 congrégationalistes ; venaient ensuite les juifs, les quakers, les spiritualistes, etc. Or les catho-

  1. Voir Universités transatlantiques. 1 vol. Paris, 1890.