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LA NOUVELLE REVUE

de souterraine qu’elle était jusqu’alors. Et quand à son tour le cardinal Gibbons aura disparu, les libéraux auront perdu la moitié de leur puissance, quel que soit le prélat qui ait succédé à Léon xiii. La présence du délégué pontifical a un autre inconvénient plus grave encore. Elle rappelle sans cesse aux Américains (ils l’avaient un peu oublié) que le centre du monde catholique est en Europe, qu’il y a chez eux toute une catégorie de citoyens auxquels commande une voix italienne, et que les catholiques seront nécessairement des dissidents le jour où se formera cette « Église nationale » dont l’espérance git au fond de leur cœur.

Et précisément à l’heure où la division s’accentue parmi les catholiques, l’union progresse chez les protestants ; ce sont d’abord les ministres du culte qui entretiennent des relations plus fréquentes les uns avec les autres et montent plus volontiers dans les chaires les uns des autres. On appelle cela exchanging pulpits. L’expression est pittoresque ; la chose ne l’est pas moins. Elle influe singulièrement sur les sermons. Si un ministre baptiste parle devant un auditoire presbytérien ou si un congrégationaliste parle à des luthériens, ce n’est pas apparemment avec l’intention de leur être désagréable, de blesser leurs convictions ; ils chercheront — comme à Chicago — ce qui rapproche, non ce qui divise. Ces « échanges » sont très goûtés, en général. Les épiscopaliens s’y prêtent moins volontiers que les autres, parce qu’ils ont une liturgie plus formaliste ; cependant leurs pasteurs acceptent les invitations qui leur sont adressées par les représentants des autres cultes. Le sermon dès lors change de nature ; les textes sur lesquels on n’est pas d’accord sont rélégués à l’arrière plan ; les croyances s’élargissent ; le talent personnel, l’originalité du point de vue, la perfection de la forme, jouent le principal rôle. La vie pratique, les devoirs quotidiens, les questions sociales, le jeu des passions et l’enchevêtrement des sentiments inspirent l’orateur plutôt que les paraboles, les histoires bibliques, les versets ténébreux des Écritures. Le sermon devient actuel, son intérêt s’accroît d’autant. D’autre part, celui qui le donne en sait davantage, est plus instruit, plus distingué que son prédécesseur d’il y a quinze ans. Parmi les presbytériens, les congrégationalistes, les épiscopaliens et les unitariens, ce sont presque toujours des gradués des universités qui exercent les fonctions de ministre du culte. Il en résulte que l’influence sociale du clergé va en augmentant en même temps que son rôle religieux s’amoindrit,