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LA FORMATION DES ÉTATS-UNIS

un double motif pour que les Églises soient portées à se rapprocher les unes des autres, et ceux qui s’en étaient tenus écartés à y pénétrer.

On en trouve la preuve chez les étudiants. L’éclectisme de leur foi la rend, semble-t-il, plus sincère et plus ardente. Dans celles des universités où la question de culte est entièrement laissée de côté par les autorités universitaires, où aucune tradition ne favorise officiellement une confession de préférence à une autre, ce sont les étudiants qui organisent eux-mêmes les services religieux ; et ils le font avec une simplicité pleine de grandeur. En 1889, j’ai vu à Charlottesville, siège de la célèbre université de Virginie, fondée par Jefferson, une chapelle ouverte à tous les cultes chrétiens ; les étudiants, qui l’avaient bâtie et l’entretenaient avec leur argent, prenaient plaisir à y entendre tour à tour les prédicateurs les plus distingués de chaque dénomination. En 1893, en examinant les plans d’achèvement de la grandiose université de Palo-Alto (Californie), j’ai noté une Église qui sera dédiée au « dieu universel ». Voilà qu’à bien des siècles de distance se renouvelle le fait qui frappa saint Paul à son entrée dans Athènes. Là aussi il y avait un autel consacré au « dieu inconnu », unique et universel dont on sentait la venue prochaine sans savoir quand ni comment il viendrait.

Le courant d’union est partout : des petits ruisseaux se sont formés de tous côtés qui se cherchent en serpentant dans la plaine. Pas n’est besoin d’être un savant géographe pour voir que la pente du terrain les conduit lentement, mais sûrement, à un point de jonction où leurs eaux se confondront ; là se formera la grande rivière qui commencera de couler vers l’avenir. Que sera son cours ? Uniforme comme celui du Mississipi ou accidenté comme celui du Saint-Laurent ? Ses flots rouleront-ils dans des abîmes comme ceux du Niagara ou glisseront-ils sur des sables comme ceux du Potomac ? Là est le mystère, le grand mystère. Car si l’on peut, jusqu’à un certain point, prévoir ce que le progrès scientifique apportera de modifications à la vie matérielle des peuples, ce que l’évolution des idées et la transformation des mœurs sociales infuseront en eux de nouveau et d’inédit, il est impossible de dire dans quelle direction, de quelle manière, sous quelle forme se manifestera l’éternelle angoisse de l’au delà, la même pour ceux qui viendront et pour ceux qui ont passé, pour hier et pour demain, l’angoisse qui ne connaîtra jamais de remède, car sans elle, l’homme ne pourrait pas vivre, ni en Amérique, ni ailleurs.


Pierre de COUBERTIN.