Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/11

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lui demandais si son train arrivait à temps pour la correspondance à l’embranchement de Yemassee, me répondit avec une gaîté communicative : — Grand Dieu ! presque jamais, monsieur !

Dans ces trains allemands, il y avait aussi une petite note fausse qui détonnait assez régulièrement ; elle était donnée par les voyageurs allemands venant de Berlin ou y retournant, et qui étaient d’une épaisse et pesante grossièreté — ils étaient d’une race bien différente des bons Hessois de Francfort.

On connaît cette expression populaire — le plancher est si propre que l’on y mangerait. Toutes les rues de Francfort que j’ai parcourues avaient cette propreté. Le réseau des tramways était conçu d’après un plan intelligible ; les tramways roulaient sans bruit (autre félicité !) et les conducteurs répondaient aux questions avec la même grave précision dont j’ai déjà parlé.

J’avais une prédilection particulière pour la route N°. 19 parce qu’elle me menait de la gare à l’opéra ; mais tous les itinéraires traversaient ou avaient pour destination des quartiers où se révélait une édilité parfaite, devant laquelle nous nous extasions en pensant à ce qui existe chez nous.

Oui. Pour moi Francfort est un lieu plein de souvenirs ; souvenirs de rues propres ; de rues pleines de passants pouvant vous indiquer votre chemin ; de rues où l’on ne voyait ni mendiants ni traces d’indigence, d’oisiveté ou d’ivrognerie ; de rues bordées de solides maisons en pierre, de jardins embaumés et d’excellents magasins ; de rues affairées, respirant l’animation et la prospérité ; de rues où l’on ne voyait pas de haillons, mais des vêtements solides et propres ; où le peuple, loquace ou taciturne, avait la même physionomie heureuse, la même physionomie épanouie que nous avions vue chez les gens de la campagne.

Les bourgeois de Francfort paraissaient vaquer à leurs affaires avec une énergie puissante et calme à la fois, en gens qui savent ce qu’ils veulent et où ils vont, qui visent au but et l’atteignent sans tirer leur poudre aux moineaux. Quelle différence avec la précipitation fiévreuse de New York et de Chicago, quel ordre et quelle supériorité ! Personne n’y paraissait comme poussé par d’invisibles furies ; l’homme d’affaires allemand n’est jamais hors d’haleine.

Telle est l’impression que m’a laissée le Francfort qui travaille. Quant au Francfort qui s’amuse, on le rencontrait au jardin des Palmiers, lieu de récréation favori des habitants, vaste parc dessiné avec beaucoup d’intelligence et de goût. Ici, dans un emplacement réservé aux enfants, les bébés se livrent en toute sûreté à leurs ébats sous les regards de leurs nourrices ou de leurs bonnes ; là, aux jeux de tennis, les jeunes Francfortois des deux sexes, en vêtements de flanelle ou en jupes courtes, déployent leurs grâces ; plus loin, des bancs sont disposés où les gens d’âge mûr prennent l’air, regardent les joueurs ou contemplent les arbres et les fleurs ; plus loin encore, s’étendent des allées ombreuses conduisant à des bosquets favorables aux amoureux… mais je n’en ai point vu, car je n’ai pas osé regarder. Au milieu du parc s’élève un bâtiment central contenant des plantes tropicales, des bassins, de vastes salles servant d’abri pendant le mauvais temps et un restaurant ; mais