Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Malgré leurs souffrances, ils s’efforçaient de me secourir et quand je fus entièrement revenu à moi, l’Allemand nous fit une piqûre de morphine à chacun et s’en fit une à lui-même. Le service de santé lui avait fourni l’injection et la seringue et lui avait appris à s’en servir. Après la piqûre, nous sentant merveilleusement soulagés, nous avons parlé de la vie que nous menions avant la guerre. Nous nous exprimions tous les trois en anglais et nous parlions de celles que nous avions laissées derrière nous. L’Allemand et l’Écossais étaient tous deux mariés depuis un an seulement…
« Je me demandais — et les autres aussi, sans doute — pourquoi nous nous étions battus. Je regardai le Highlander qui s’assoupissait, épuisé, et en dépit de sa physionomie décomposée et de son uniforme couvert de boue, il me semblait l’incarnation de la liberté. Puis je pensai au drapeau tricolore et à tout ce que la France a fait pour la liberté. Je me tournai ensuite vers l’Allemand qui avait cessé de parler. Il avait tiré de son sac un livre de prières et essayait de lire l’office pour les soldats blessés sur le champ de bataille. Et… en le regardant, je compris pourquoi nous nous battions… Il mourait en vain, tandis que l’Écossais et moi, par notre mort, nous avions probablement fait quelque chose pour la cause de la civilisation et de la paix. »

Voilà ce qu’écrivait ce jeune officier français à la femme aimée, une Américaine à laquelle il était fiancé. Les brancardiers de la Croix-Rouge ont trouvé la lettre près de lui. C’est ainsi qu’elle apprit comment il était mort. Et cela aussi, c’est la Pentecôte du malheur.

XIII.

Et que disent les femmes — les femmes qui pleurent des hommes de cette trempe ? Elles refusent d’assister à La Haye au Congrès de la Paix organisé par des folles qui n’ont perdu personne :

« Comment nous serait-il possible, dans un moment comme celui-ci, de nous rencontrer avec les femmes des pays ennemis ?… Ont-elles répudié… les crimes de leurs gouvernements ? Ont-elles protesté contre la violation de la neutralité de la Belgique ? Contre les infractions au droit des gens ? Contre les crimes de leur armée et de leur marine ? Si elles ont élevé la voix, c’est trop faiblement pour que l’écho de leurs protestations nous arrivât à travers nos territoires profanés et dévastés… »

Et une femme éminente écrivit à une des déléguées à La Haye :

« Madame, êtes-vous réellement anglaise ?… J’avoue que je comprends mieux les femmes anglaises qui veulent lutter… Demander à des Françaises, à l’heure qu’il est, de venir parler d’arbitrage et de médiation et de discuter un armistice, c’est leur demander de renier leur pays…
« Tout ce que les Françaises peuvent désirer, c’est de réveiller et de saluer dans leurs enfants, leurs maris et leurs frères, dans leurs pères mêmes, la conviction qu’une guerre