Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/27

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défensive est une chose si sainte que tout doit être abandonné, oublié, sacrifié, et qu’il faut regarder la mort en face, héroïquement, pour défendre et sauver ce qu’il y a de plus sacré… la patrie. Ce serait renier mes morts que de chercher à voir autre chose que ce qui est et doit être ! — si le Dieu du droit et de la justice, l’ennemi du mal et de la force et de la folie de l’orgueil est le vrai Dieu. »

C’est ainsi que, éclairés et transfigurés par le malheur, hommes et femmes se dressent dans la plénitude de leur nature spirituelle, font acte de renoncement et prononcent des paroles sacrées. Le sort tragique du Lusitania arracha aux lèvres d’un Allemand enfin éclairé, Kuno Francke, ce noble cri de patriotisme :

Si telle doit être la fin de l’Europe, dans ta miséricorde.
Seigneur,
Des ténèbres atroces de la planète qui disparaît,
Sauve l’âme de ma nation. Loin de la colère et de la folie
D’une Terre flétrie, élève-la bien haut,
Rajeunie, transfigurée, purifiée ;
Pour que, rayonnant sur les temps nouveaux,
Elle éclaire un monde régénéré.
Âme de ma race, tu ne périras pas !

Si, comme je le crois, le sort de l’Allemagne est le plus tragique de tous, il faut espérer qu’elle aussi sera touchée par les langues de feu du malheur et qu’elle saura reprendre à la Prusse son âme, qu’elle lui a livrée en 1870. Et c’est ainsi qu’elle sera délivrée de sa malédiction.

XIV.

Et nous, que faisons-nous, au milieu de la tempête universelle ? Chacun de nous s’est trouvé marcher la nuit au milieu des ténèbres qui donnaient à toute chose un aspect vague et indistinct, quand tout-à-coup un éclair, sillonnant la nue, a répandu aux alentours une clarté livide. Les arbres tout proches, les haies fuyant dans le lointain, les maisons, les champs, les animaux, les gens, tout apparaît nettement aux regards dans une lumière trop vive et aveuglante. C’est ainsi que dans la tourmente de la guerre, les nations et les individus se révèlent, sous la lueur des éclairs incessants. Le peuple américain tel qu’il est aujourd’hui, notre démocratie, quel que soit l’aspect qu’elle présente, noble ou vil, à la lumière de ce cataclysme, tout cela est déjà gravé sur les tablettes de l’histoire et constitue l’image des États-Unis en 1914-1915, telle que la postérité la verra.

Pour moi, je ne sais pas de meilleur portrait moral d’un individu, quel qu’il soit, que son opinion sur cette guerre ; et s’il n’a pas d’opinion, cela nous donne encore son image. Pendant l’automne de l’année dernière, il était des Américains qui désiraient que les journaux cessassent de donner des nouvelles de la guerre et offrissent à leurs lecteurs des informations d’un autre genre. Nous avons leur portrait, à ceux-là, comme aussi celui d’autres Américains qui ne pensaient qu’à compter les dollars qu’ils pouvaient retirer de l’extrémité et de la souffrance de l’Europe. Mais, Dieu merci ! cela n’est pas le portrait de la nation. Notre sympathie pour l’Europe s’est portée sur la