Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/9

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état de conservation, du moyen âge dans notre temps, et cependant en complète harmonie avec l’époque actuelle. Quant aux paysans de la plaine, un grand nombre, hommes et femmes, étaient de ceux qui venaient vendre à Nauheim leurs fruits et leurs fleurs, c’est-à-dire des humbles, peu comblés des biens de ce monde, mais apparemment presque tous pourvus du bien essentiel de la santé.

Tous, après avoir échangé nos impressions, nous nous trouvâmes du même avis. Nous étions dix ou douze qui nous connaissions de longue date, mais dispersés dans divers hôtels ; et tous nous avions été frappés de l’air de contentement de la physionomie allemande. Oui, de contentement ! Chez les jeunes gens comme chez les vieillards des deux sexes, c’était le trait dominant, le précieux bien essentiel. Et nous nous sommes demandé : — À quel signe reconnaît-on qu’un gouvernement traite bien son peuple — convient, pour ainsi dire, à son peuple ? Notre conviction que notre formule nationale, « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, » est l’ultime vérité universelle commença à être ébranlée.

Partout, deux et deux font quatre ; et cela est aussi vrai à Berlin qu’à Washington ou dans les îles des Caraïbes. Mais à moins que la race humaine ne devienne la même partout, peut-on traiter de l’art de gouverner comme on traite des mathématiques ? À moins que la race humaine ne devienne la même partout, est-il probable que l’on trouve une forme de gouvernement qui aille à tous comme un gant ? Aussi longtemps que la race humaine sera aussi diverse que le tempérament des individus, il sera plus sage de regarder le gouvernement comme une espèce de régime ou de traitement. Tel gouvernement convient-il à tel peuple ? Voilà la question que chaque pays doit se poser. Et à quoi reconnaît-on qu’un gouvernement est celui qui convient à un peuple ? Est-il un signe plus certain que l’expression générale, la physionomie typique du peuple lui-même ? C’est autre chose et autrement significatif que les gratte-ciel et les divers signes de progrès matériels.

J’avais fui les gratte-ciel et les express limited, les fermiers qui gaspillent les semailles, les maisons incendiées par négligence, les forêts brûlées par imprudence ; les monceaux de fruits pourrissant sur le sol dans un endroit et des centaines d’individus mourant de faim un peu plus loin. J’avais fui la physionomie des villes et des campagnes de l’Amérique ; car ni l’une ni l’autre ne respirait le contentement. Les gens avaient l’air contraint, troublé, mécontent. L’Americain pressé ne s’occupait pas lui-même de son pays et il n’y avait personne pour l’y forcer, tandis qu’il se précipitait à l’assaut — et à l’assaut de quoi ? D’un gratte-ciel encore plus grand. Quelle joie calme on éprouvait à se trouver dans un pays où les esprits sont pondérés, où jamais on n’a dit à un écolier qu’il pouvait devenir président et où chaque écolier sait qu’il ne peut devenir empereur.

Les étudiants en promenades de vacances, venant des universités, traversaient quelquefois Nauheim en chantant. Vêtus d’un costume rappelant ceux qu’on voit au Tyrol, parfois avec un bizarre col byronien trop ouvert, ils avaient le havresac au dos et l’insigne distinctif de leur guilde à la casquette. Ils venaient généralement de bonne heure, le matin, au moment où les malades