Page:La Pentecôte du Malheur.djvu/8

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non qu’on s’installât. Et la journée se passait ainsi. Tout était bien réglé et tout marchait à souhait. Je pensais à l’Amérique, où tant de choses paraissent si belles théoriquement et où si peu de choses le sont réellement, parce que personne n’observe les règlements. Je pensais au régime électif de nos collèges, où chaque élève est libre d’étudier les matières les plus propres à le rendre apte à la carrière qu’il a choisie, et où chaque élève n’étudie guère que les sujets qui lui donnent le plus de chances d’être reçu aux examens. Il n’y avait pas, à Nauheim, de système électif ; tout le monde observait les règlements ; rien ne clochait, tout fonctionnait à merveille.

En outre, tous ceux dont le devoir était de contribuer au bien-être des malades, depuis le médecin-chef jusqu’aux portiers de l’hôtel, aux baigneurs et au garçon d’ascenseur, étaient d’une courtoisie presque parfaite. Demandiez-vous quelque chose de non prévu au programme ? On vous l’accordait, ou l’on vous expliquait très clairement pourquoi on vous le refusait. À la banque, chez le libraire, à l’hôtel, à la gare, dans la rue, non seulement on comprenait vos questions, mais on savait y répondre. Et la rue, chaque jour, était un lieu de délices, avec ses nombreux étalages où abondaient les fleurs et les fruits, cerises, fraises, prunes, abricots, raisin, le tout excellent et à bon marché, ce qui ne se voit jamais ici. Mais ce qui, par-dessus tout était agréable, ce qui reposait vraiment l’esprit, c’est que chacun était apte à sa besogne et la prenait au sérieux. À côté de notre système américain qui consiste à la considérer comme une plaisanterie, surtout quand on la sabote, cette façon de faire des Allemands suffisait presque à guérir un malade, sans autre traitement.

III.

Cette existence calme et sereine n’avait pas été inventée spécialement pour les étrangers ; ce n’était pas pour obtenir leur clientèle qu’un bien-être complet et artificiel avait été organisé sans aucun rapport avec ce qui existait ailleurs. Cela, on le trouve chez nous, dans des endroits isolés, quoique bien moins parfait et beaucoup plus coûteux. Nauheim n’était qu’un rameau du tronc principal. C’est quand je me mis à parcourir la campagne, que je rencontrai partout un état de choses semblable, parfaitement ordonné, et que j’en vins à causer plus fréquemment avec les paysans et à observer hommes, femmes et enfants, que l’organisation de l’Allemagne commença à me frapper.

En me rappelant mes premières impressions et en les rapprochant de celles que je recueillais maintenant, je me rendais compte qu’il n’en avait pas été ainsi en 1870, ni même en 1882 et en 1883 lorsque j’étais revenu en Allemagne. Au bout de quelque temps, nous prîmes l’habitude d’échanger nos impressions, nous, les malades Américains. Tous, nous parcourions le pays, errant parmi les jardins et les fermes ; ou bien, traversant la plaine, plantée d’arbres fruitiers, nous montions jusqu’au petit Friedberg, situé sur une hauteur. Friedberg, c’est un vieux château et un village en pente, un véritable joyau teuton, tombé, en parfait