Aller au contenu

Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitre VII).djvu/2

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Henri, prévoyant peut-être qu’il aurait un jour besoin d’un dévouement aveugle, s’attacha à Pardaillan, s’employa à le conquérir par des dons, par sa faveur, par toutes les caresses qui pouvaient séduire un vieux soldat : Pardaillan devint sa chose, Pardaillan se fût fait pendre pour son maître, Pardaillan n’attendait qu’une occasion de mourir pour lui !

Un jour le vieux chevalier apprit la nouvelle qui venait de se répandre dans tout le manoir : Monseigneur François de Montmorency revenait !… Monseigneur arrivait !… Monseigneur serait là le surlendemain !…

Ce surlendemain, au matin, Henri, sombre, pâle, agité, l’emmena à Margency, lui montra la maison de la vieille nourrice et lui ordonna d’enlever Loïse ; une heure après, Pardaillan revenait au point où l’attendait son maître : il tenait dans ses bras la pauvre toute petite créature, si faible, si merveilleusement jolie que son vieux cœur tout racorni en éprouva une vague émotion.

Alors, Henri lui donna ses instructions que Pardaillan écouta en faisant la grimace. En même temps, il lui glissa une bague ornée d’un magnifique diamant : le prix de l’horrible meurtre convenu !

Pardaillan se posta de façon à bien voir la fenêtre d’où devait venir l’abominable signal.

Henri pénétra dans la maison et attendit le retour de Jeanne. On sait la double et dramatique scène qui se produisit…

Pardaillan vit arriver François… il demeura les yeux fixés sur la fenêtre, un peu pâle seulement, la fillette endormie dans ses bras ; c’était horrible…

Quand il vit sortir François, quand il vit Henri, à son tour, quitter la maison, Pardaillan eut un vaste et profond soupir de soulagement : le signal ne viendrait plus maintenant !… Et alors, qui se fût trouvé près de lui l’eût entendu grommeler :

— C’est heureux que ce signal ne m’ait pas été donné ! Car j’eusse été obligé de désobéir, de me sauver, de reprendre la vie errante d’autrefois, avec une vengeance de Montmorency à mes trousses !… Et je suis bien vieux… bien las !… Allons, mademoiselle, faites la risette !… Quant au reste… ma foi, j’obéis !… Il n’y a pas de mal, je pense, à garder cette petite un mois ou deux, comme j’en ai reçu l’ordre…

Alors, très doucement, le reître enveloppa l’enfant dans un pli de son manteau et s’éloigna. Il parvint à une maison basse qui s’élevait au pied de la grande tour du manoir et entra : un petit garçon de quatre ou cinq ans courut à sa rencontre, les bras ouverts.

— Jean, mon fils, dit Pardaillan, je t’amène une petite sœur.

Et s’adressant à une paysanne qui filait au rouet :

— Eh ! la Mathurine, voici une petite fille à qui il faudra donner du lait… Et puis, pas un mot, s’il vous plaît, à âme qui vive ! Sans quoi… vous voyez bien cette jolie potence, là-haut sur le donjon ?… Eh bien, elle sera pour vous !

Verte de peur, la servante jura d’être muette comme la tombe, prit la délicieuse petite créature dans ses bras, et s’occupa à l’instant de lui donner du lait, de l’installer…

Quant au petit garçon, il ouvrait de grands yeux pétillants d’astuce et d’intelligence. C’était un enfant admirablement bâti, dont chaque mouvement révélait la force d’un jeune loup et la souplesse d’un jeune chat.

C’était le fils du vieux routier, qui, habitant lui-même le manoir, le faisait élever dans cette chaumière où il l’allait voir tous les jours. Où Pardaillan avait-il eu ce fils ? De quelle dame en mal de galanterie l’avait-il eu ? C’était un mystère dont il ne parlait jamais…

Il le prit sur ses genoux, et dans son œil gris s’alluma une flamme de tendresse… Mais Jean, d’un geste volontaire, se débarrassa de l’étreinte paternelle, se laissa glisser à terre, courut à son petit lit où la Mathurine avait