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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitre VII).djvu/3

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déposé Loïse, et saisit la frêle fillette dans ses bras nerveux.

Loïse ne pleura pas. Elle ouvrit tout grands ses doux yeux bleus. Elle eut une exquise risette… Jean trépigna, enthousiasmé :

— Oh ! petit père ! oh ! la mignonne petite sœur !…

Pardaillan se leva brusquement, les yeux plissés, et sortit tout pensif, songeant à la mère ! songeant à son désespoir, à lui, si son Jean disparaissait ! Et dans ses yeux qui jamais n’avaient pleuré, quelque chose comme un brouillard humide flotta un instant…

Une heure après, Pardaillan était à Margency. Tantôt se glissant le long des haies, tantôt rampant, il s’approcha de la fenêtre, regarda, écouta.

Et ce qu’il vit lui fit dresser les cheveux sur la tête.

Et ce qu’il entendit fit poindre sur ses reins cette froide sueur d’angoisse qu’il n’avait pas connue dans les batailles !

Oh ! les lamentations de l’amante à son réveil ! Les accès de fureur ! les crises de démence où elle se maudissait de son silence, où elle voulait courir, rejoindre François, tout lui dire !…

Et aussitôt la pensée de Loïse égorgée l’arrêtait !… Si elle faisait un pas, Loïse mourait.

Et la malheureuse râlait :

— Mais j’ai obéi, moi ! Je me suis tue ! Je me suis assassinée !… Il m’a promis de me rendre ma fille… n’est-ce pas qu’il a juré ?… Il me la rendra, dites ? Loïse ! Loïse !… Où es-tu ?… Mon petit chérubin, tu ne mettras donc pas ce soir tes menottes adorées dans les cheveux de ta mère !… François, n’écoute pas ! Il ment ! Oh ! le misérable lâche ! Il ose toucher à cet ange ! Rends-moi ma fille, truand !… À moi !… À moi !… Loïse, ô ma Loïse, ma pauvre toute petite ! Tu n’entends donc pas ta mère ?…

Hélas ! que sont ces lignes froides et impassibles ! Où est la musique qui pourra jamais traduire le douloureux lamento de la mère qui pleure son enfant perdue !…

Pardaillan, à écouter ces accents du désespoir humain dans ce qu’il a de plus auguste ; à voir cette figure ravagée, sanglante d’ecchymoses, de coups d’ongles, à saisir au passage ces regards de bête qu’on tue, tantôt furieuse à faire trembler vingt hommes, tantôt pitoyable à faire pleurer des bourreaux, Pardaillan frissonna longuement, claqua des dents, rivé à sa place, épouvanté de ce qu’il avait fait !…

Enfin, il se recula d’abord doucement, puis plus vite, puis se mit à courir comme un insensé.

Lorsqu’il arriva à la chaumière de la Mathurine, il faisait nuit : c’était le moment où François et Henri, là-bas, dans la forêt, échangeaient des paroles dont chacune était un drame.

La Mathurine montra à son maître Loïse qui dormait près de son fils. Jean, de son petit bras, soutenait la tête si naïvement confiante, d’une sublime confiance, de la fillette. Alors, doucement, pour ne pas la réveiller, il la prit, l’enveloppa soigneusement, et se dirigea vers la porte. Au moment de sortir, il se retourna et d’une voix enrouée, il dit :

— Vous réveillerez Jean. Vous l’habillerez. Vous le préparerez pour un long voyage… que tout soit prêt dans une heure… Ah ! vous irez dire à mon valet qu’il amène ici mon cheval tout sellé… avec mon porte-manteau…

Et Pardaillan, laissant la servante stupéfaite, reprit le chemin de Margency, avec, dans ses bras, la fille de Jeanne endormie, souriant de son divin sourire aux étoiles du ciel, et peut-être à la pensée qui faisait palpiter le vieux reître !…