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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/11

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— Jeune homme, dit-il, vous me plaisez… ce n’est pas seulement à cause de l’éloge que M. l’amiral a fait de vous, bien qu’en ces matières, la parole de M. de Coligny soit d’or. Votre air décidé et ingénu à la fois, la franchise de vos yeux, tout dans votre personne m’inspire une sympathie réelle…

— Vous me comblez, monseigneur, fit Pardaillan avec une émotion qui surprit le maréchal ; je n’ose croire vraiment que vos paroles contiennent autre chose qu’une politesse digne de votre grand esprit… Sans cela, je me serais emporté à de chimériques espérances…

Quelles étaient ces espérances ? Le maréchal se dit qu’elles se rapportaient sans doute à la démarche du jeune homme.

— Cette sympathie est si vraie, reprit-il, que je vais vous conter une histoire. Il y a longtemps, bien longtemps que je ne l’ai racontée… Il me semble que cela me soulagera, et puis, décidément, votre air me touche plus que je ne l’ai jamais été. Vous m’êtes inconnu, et il me semble que si j’avais un fils, je le voudrais semblable à vous…

— Monseigneur ! s’écria Pardaillan avec une étrange exaltation.

— Tenez, asseyez-vous là… en face de ce portrait, puisqu’il vous a frappé.

Pardaillan obéit et remarqua que le maréchal, en s’asseyant lui-même, se plaçait de façon à tourner le dos au portrait.

— Voilà, songea-t-il, un homme qui a dû atrocement souffrir…

— Cette femme, dit alors François de Montmorency, est la femme d’un de mes amis… ou plutôt elle l’a été… Elle était pauvre ; son père était l’ennemi de la famille de mon ami : celui-ci la vit, l’aima… il l’épousa. Mais sachez bien que pour l’épouser, il dut braver la malédiction paternelle ; il dut risquer de se mettre en révolte contre son père, haut et puissant seigneur… Le jour même du mariage, mon ami dut partir pour la guerre. Quand il revint, savez-vous ce qu’il apprit ?

Pardaillan garda le silence.

— La jeune fille au front pur, continua François d’une voix très calme, eh bien, c’était une ribaude ! Dès avant le mariage, elle trahissait mon ami… Jeune homme, méfiez-vous des femmes !

Le chevalier tressaillit en se rappelant les conseils que son père lui avait donnés en partant.

Le maréchal ajouta sans amertume apparente :

— Mon ami avait placé en cette femme tout son amour, son espoir, son bonheur, sa vie… Il fut condamné à la haine, au désespoir, au malheur, et sa vie fut brisée, voilà tout. Qu’a-t-il fallu pour cela ? Simplement de rencontrer par un soir de printemps une jeune fille qui avait l’âme d’une ribaude…

Pardaillan, sur ces mots, s’était levé ; il s’approcha du maréchal, et d’un ton ferme, prononça :

— Votre ami se trompe, monseigneur…

François leva sur le chevalier un regard surpris ; il ne comprenait pas.

— Ou plutôt, continua Pardaillan, vous vous trompez…

Le maréchal imagina que son visiteur, encore naïf et plein de foi, protestait d’une façon générale contre les accusations dont les hommes accablent les femmes.

Il eut un geste de politesse indifférente et dit :

— Si vous m’en croyez, jeune homme, venons-en au motif de votre visite. En quoi puis-je vous être utile ?

— Soit, fit Pardaillan, qui se rassit.

Il jeta un dernier regard sur le portrait de Jeanne de Piennes, comme pour la prendre à témoin du sacrifice qu’il accomplissait. À ce moment, son mâle visage s’illumina d’un tel rayon d’héroïsme que le maréchal, frappé d’étonnement, commença à comprendre qu’il allait se dire là des choses graves.

— Monseigneur, commença Pardaillan,