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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/25

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— Voyez, monsieur, s’écriait cependant l’inconnu, voyez cette tête fine, ce noble garrot, ce poil luisant, ces jambes fines, et dites-moi si une pareille bête est digne de coucher à l’étable.

Montmorency se retourna, son falot à la main, et murmura :

— Vous avez raison, monsieur de Pardaillan, voilà un cheval de prix !

L’inconnu demeura la bouche bée, les yeux agrandis. Un cri, un nom allait lui échapper. Montmorency l’arrêta d’un coup d’œil, et reprit à haute voix :

— Monsieur, notre aubergiste consent à votre juste demande. Quant à vous, vous m’honoreriez en acceptant de partager mon souper. Point de façons ! Entre gentilshommes… Vous acceptez, n’est-ce pas ?

En parlant ainsi, à la grande stupéfaction de l’hôte, le maréchal de Damville avait passé son bras sous celui de Pardaillan et l’entraînait vers sa chambre.

Le vieux Pardaillan, plus stupéfait encore que l’aubergiste, se laissa faire sans prononcer un mot.

Pourtant, dans le trajet de la cour à la chambre, il avait réfléchi sans doute ; car à peine la porte se fut-elle refermée sur le maréchal et sur lui que, se campant sur ses hanches, la main gauche à la garde de la rapière, la droite ébouriffant sa moustache grise, il prononça sans la moindre émotion apparente :

— Enchanté de vous revoir en bonne santé, monseigneur !

Puis, se redressant après le salut, et se campant, la tête haute, les yeux plissés :

— Un peu vieilli, par exemple… Ah ! dame, vous aviez quelque chose comme dix-neuf ans la dernière fois que j’eus l’honneur de vous présenter mes hommages et, si je sais compter, vous devez en avoir trente-cinq ou six ; vous étiez alors ce qu’on appelle un joli brun, monseigneur, et vous n’aviez pas votre pareil pour donner à votre moustache un pli gracieux et terrible à la fois… Comme on change !… Quoi, est-ce bien des cheveux gris que j’aperçois à vos tempes ? Quel pli amer a pris cette bouche ! Et puis, comme votre visage s’est durci ! Je dois dire qu’il n’était déjà pas si tendre… Moi, comme vous voyez, je suis à peu près le même… C’est que, passé un certain âge, nous autres, vieux routiers, nous ne vieillissons plus… Vers la quarantaine, j’étais déjà ce que vous me voyez, et si je meurs centenaire, comme j’ose l’espérer, je mourrai tel que je suis. À propos, monseigneur, mes humbles félicitations. J’ai souvent ouï parler de vous, et toujours comme d’un pourfendeur di primo cartello, comme disait tel truand de mes amis ; il paraît que vous fendez un crâne en deux, fort proprement ; et qu’on ne compte plus les huguenots que vous tuâtes… Eh ! Par Pilate, c’est moi qui vous ai mis l’estramaçon à la main et qui