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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/26

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vous enseignai le coup de tête, ainsi que le coup de banderolle, item le coup de pointe. Si j’étais vaniteux, je m’enorgueillirais d’un élève tel que vous. Je ne le suis pas, Dieu en soit loué, mais je m’enorgueillis tout de même. Plaît-il ? Vous dites, monseigneur ?… Tiens, vous ne dites rien ?… Alors, monseigneur, comme je vous le disais, enchanté de vous avoir revu en bonne santé… Permettez-moi donc de vous souhaiter le bonsoir, et d’enfourcher ma bête, car il faut que je sois cette nuit même à Baugé… une jolie étape. Dieu vous tienne en joie, monseigneur ! Vous permettez ?…

— Monsieur de Pardaillan, dit Henri de Montmorency, faites-moi donc le plaisir de partager mon souper.

Le vieux routier, qui déjà entrouvrait la porte, se retourna tout court, par un demi-tour des plus militaires. Son œil gris loucha fortement vers la table sur laquelle l’aubergiste, pendant son discours, venait de déposer des choses succulentes et des flacons ventrus. Mais ce même œil ayant ensuite exécuté un quart d’oblique vers le maréchal, Pardaillan, avec un reniflement de regret, répondit :

— Excusez-moi, monseigneur, je suis attendu… Vous permettez ?…

Un geste de Damville arrêta de nouveau tout net l’aventurier.

— Vous êtes si peu attendu, que vous vous disputiez tout à l’heure pour obtenir un coin d’écurie à votre cheval. D’ailleurs, si vous n’acceptiez pas, je penserais que vous avez peur.

Pardaillan eut un haut-le-corps et un éclat de rire.

— Peur ! fit-il. Pour avoir peur, il me faudrait rencontrer le diable en personne. Et encore, je ne sais pas si je ne le prendrais pas par les cornes et si je ne lui tirerais pas ses oreilles pointues en lui disant : Monsieur Satanas, vous êtes un petit garçon. Saluez votre maître ! Vous voyez bien, monseigneur, que je ne puis avoir peur en votre compagnie, même si vous étiez le diable, ce qui n’est pas, j’aime à le supposer.

En parlant ainsi, le vieux Pardaillan jeta sur le lit sa toque et son manteau, dégrafa son ceinturon, enfin fit ses préparatifs pour souper à son aise ; cependant, il garda près de lui sa longue rapière debout contre la table.

Montmorency remarqua parfaitement ce détail ; il se défit de son épée et alla la jeter en travers du lit ; ce que voyant, le vieux routier alla déposer sa rapière au même endroit.

Le maréchal de Damville s’assit et, d’un geste, invita son commensal à en faire autant.

— Par obéissance, monseigneur ! fit Pardaillan qui s’assit, et aussitôt, avec un large soupir, décoiffa un grand pot de grès, lequel étant ouvert, répandit dans la chambre, une odeur de fines rillettes.

— Oh ! oh ! fit Pardaillan, c’est franche lippée, ce soir ! Je ne sais si vous êtes comme moi, monseigneur, mais j’ai un faible pour les rillettes, ce qui ne m’empêche pas d’avoir des égards pour l’omelette au lard dans le genre de celle-ci, et de professer une véritable vénération pour les cuissots de chevreuil, tels que celui qui nous attend là. Morbleu ! Parlez-moi d’une table comme celle-ci, à deux pas d’un bon feu, quand la bise souffle au dehors, que les aubergistes font grise mine, qu’on a vingt lieues dans les jambes… de son cheval et que… et que…

— Et qu’on se demandait comment on se coucherait, après avoir probablement peu ou pas dîné, n’est-ce pas ?

— Ah ça ! songeait-il, mais il ne me parle de rien… aurait-il oublié l’aventure en question ?… Vous avez mis le doigt sur la chose, continua-t-il à haute voix. Ah ! monseigneur, c’est que je loge plus souvent à l’auberge de la belle étoile qu’en tout autre hôtellerie. Et cette auberge-là, vous l’ignorez peut-être, n’a ni fourneaux, ni rôtissoires, ni marmitons, ni