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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/34

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Cet amour n’affectait peut-être plus les mêmes formes, il s’y mêlait peut-être une sorte d’orgueil entêté ; mais Henri voyait clairement que si, jadis, pour satisfaire ses passions, il avait été capable d’un crime, il était maintenant capable de toutes les violences et de toutes les lâchetés.

Or, cette passion était demeurée inassouvie.

— Autrefois, songeait-il, lorsque je la guettais à travers les haies de la chaumière où elle s’était réfugiée, lorsque je sentais mon cœur se gonfler et les veines de mes tempes battre sourdement, je me disais que jamais je n’oserais plus approcher d’elle. Et tout ce que je souhaitais, c’était qu’elle n’appartînt pas à un autre… à lui ! à cet hypocrite doucereux qui l’avait séduite par l’art des belles paroles que je n’ai jamais connu. Oui, je consentais alors à ne plus la revoir du moment qu’il ne la reverrait pas non plus. Je me souviens qu’au moment où il me blessa, au moment où je fus ramené mourant par ces bûcherons, ma plus violente douleur fut de penser qu’ils se rejoindraient peut-être, et que tout ce que j’avais imaginé et exécuté serait inutile ! Heureusement, il n’en fut rien, et lorsque j’appris que mon père avait arrangé leur définitive séparation, je faillis mourir de joie, comme j’avais failli mourir de douleur. Et cela me suffit !… D’où cela vient-il donc ? D’où venait que je ne mis pas à la rechercher l’ardeur que j’aurais dû y mettre ?

Le maréchal s’arrêta pensif, et se fît cette réponse :

— C’est que je le haïssais, lui, plus encore que je ne l’aimais, elle ! Voilà pourquoi les années avaient fini par effacer l’amour tandis que la haine est demeurée vivante ! La haine ! Oui, je l’ai toujours haï !… et c’est par haine, pour le dominer, pour l’abattre et l’écraser, que je me suis jeté dans cette formidable aventure d’où je ne sortirai peut-être pas vivant.

Donc, l’amour s’était effacé… et je comprends maintenant pourquoi !

Il reprit sa promenade agitée, poursuivant le fil de sa pensée ténébreuse.

— Oui : mais alors, pourquoi suis-je si troublé de l’avoir retrouvée ? Pourquoi éprouvé-je des ardeurs de passion que je croyais éteinte ? Est-ce que je l’aimerais maintenant plus que je ne l’aimais autrefois ?… Où est-il lui ?… Loin de Paris, sans doute… Que ne puis-je lui faire savoir que je la tiens, qu’elle est en mon pouvoir !

Comme Henri prononçait ces mots au plus profond de sa pensée, on heurta à la porte.

Il eut un geste d’impatience, et alla ouvrir.

Cet homme que nous avons entrevu aux Ponts-de-Cé, et qui lui servait d’écuyer, apparut.

— Monseigneur, dit-il sans attendre d’être interrogé, une grave nouvelle.

— Parle.

— Le frère de monseigneur est à Paris.

Damville pâlit.

— Je l’ai vu moi-même ; poursuivit l’écuyer, je l’ai suivi ; il est en son hôtel.