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Page:La Petite république, 1902 (extrait Par le fer et par l’amour, chapitres XXXI à XXXIII).djvu/35

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— Tu es sûr de ne pas te tromper ?

— Je l’ai vu comme je vous vois, monseigneur.

— C’est bien, laisse-moi.

Demeuré seul, Henri de Montmorency se laissa tomber sur un fauteuil. Lui qui, l’instant d’avant, s’affirmait qu’il eût voulu rencontrer son frère, tremblait maintenant.

Et déjà il cherchait le moyen d’éviter, de fuir cet homme…

Car cet homme, son frère ! c’était la vengeance qui, d’une minute à l’autre, pouvait se dresser devant lui, menaçante, implacable !

— François à Paris ! murmura-t-il avec un grand frisson. Oh ! je sens que la rencontre est inévitable ; je sens qu’une main nous pousse fatalement l’un vers l’autre. En vain, depuis seize ans, avons-nous mis la distance entre nous ! En vain ai-je couru le Midi pendant qu’il était au nord ! L’inévitable doit arriver… Dans huit jours, demain peut-être, nous nous trouverons face à face. Et alors, que me dira-t-il ? Que lui dirai-je ?

Il se leva, fit quelques pas, le visage contracté, cherchant à dominer ou à excuser à ses propres yeux cette épouvante que lui causait la seule nouvelle de l’arrivée de son frère.

Sur son chemin, il rencontra une petite table. Il asséna un coup de poing sur la table.

— Ah ! si j’étais seul ! gronda-t-il. Comme je l’attendrais d’un pied ferme ! ou plutôt comme j’irais le chercher, le braver, lui crier dans le visage : Est-ce moi que vous êtes venu chercher à Paris ! Me voilà ! Que voulez-vous !… Mais je ne suis plus seul ! Elle est là ! Et je l’aime ! Et je ne veux pas qu’il la trouve ici ! Je ne veux pas qu’ils se rencontrent ! Qui sait s’il ne l’aime pas toujours, lui !… Que faire ? Où la mettre ? Où la cacher ?…

Pendant une heure, Henri de Montmorency continua sa promenade qui, peu à peu, se calma.

Enfin, un sourire parut sur ses lèvres.

Peut-être avait-il trouvé ce qu’il cherchait, car il murmura :

— Oui… là, elle sera en sûreté… j’ai un bon moyen de m’assurer la fidélité de cette femme… nous verrons !

En même temps, il se dirigea vers l’appartement où Jeanne de Piennes et Loïse étaient enfermées. Arrivé à la porte, il écouta un instant, et n’entendant aucun bruit, ouvrit doucement au moyen d’une clef qu’il gardait sur lui, puis il poussa la porte, et s’arrêta en pâlissant :

Jeanne et sa fille étaient devant lui !

Serrées l’une contre l’autre, enlacées dans une étreinte comme pour se protéger mutuellement, blanches, le sein palpitant, elles le regardaient avec un indicible effroi.

Sur le premier moment, il ne vit que Jeanne…

Comme elle était belle encore ! Et comme sa beauté, pour avoir perdu cette fleur de grâce qui n’appartient qu’au printemps, s’épanouissait radieuse et forte dans son été !…

Il fit un pas, referma soigneusement la porte derrière lui, et s’avança en disant :

— Vous me reconnaissez, madame ?

Jeanne de Piennes se plaça résolument devant Loïse. Le rouge de la honte empourpra son front. Elle dit :

— Comment osez-vous paraître devant cet enfant ? Comment osez-vous me parler en sa présence ?

— Je vois maintenant que vous me reconnaissez ! fit le maréchal avec cette sorte d’âpre et rude ironie qui donnait à sa voix un accent spécial, même dans les moments de passion. Je m’en félicite. Je vois que je n’ai pas trop vieilli, comme le disait récemment… tenez… quelqu’un dont vous avez dû garder le souvenir… M. de Pardaillan !

Loïse laissa échapper un cri plaintif et se couvrit le visage des deux mains.

L’exaltation du sentiment maternel transporta Jeanne aux dernières limites de l’audace et décupla ses forces.

— Monsieur, dit-elle, d’une voix très pure