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Page:La Phalange, tome 3, 1846.djvu/287

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Sont retombés vaincus aux ténèbres premières…
Mais toi, rude matière, ô vivace limon.
Incessamment pétri sous les pieds du démon !
Impassible vulgaire à l’insulte brutale,
Pour jamais enchaîné sur l’onde de Tantale,
Tout maculé d’ennui, d’ignorance et de fiel
Toi seul n’as pas changé sous la voûte du ciel !
Oh ! dis-moi pour quel crime et par quel anathème
Tu jouis du supplice et tu frappes qui t’aime ?
Pourquoi, des biens sacrés que Dieu nous révéla,
Aveuglé, choisis-tu cette part que voilà !
Ô toi ! qui dévoré de soif inassouvie,
Ne sais pas que cette onde est la source de vie,
Le jet pur de l’amour et de la vérité
Jaillissant devant toi durant l’éternité…
Va ! blasphème le Dieu dont la terre est bénie,
Ferme ton œil oblique aux clartés du génie ;
Vieux témoin de la gloire, inepte spectateur,
Siffle le drame immense et le sublime auteur !
Coupable et malheureux que le désir altère,
Qui maudis ce désir qui sauvera la terre,
Trop certain que du ciel la sombre volonté
D’un éternel tourment brûle l’humanité ;
Vulgaire ! un jour viendra, que tout grand cœur devine,
Où puisant au cristal de la source divine,
Et décernant au Maître un immortel honneur,
Tu renaîtras au monde, ivre de ton bonheur !
Cette aube à l’horizon montera plus dorée
Que l’aurore polaire aux palais de Borée,
Et ta lèvre, rougie aux morsures du feu,
Plongera, frémissante, en la fraîcheur de Dieu !


Leconte de Lisle.