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des bords de la Vetava ; les dernières affiches d’Hynaïs et d’Oliva m’en sont garant aussi bien que le zèle de l’éditeur Topic chez qui l’on a vu l’exposition complète de Walter Crane, celle des cartons de Sacha Schueider et des œuvres de Alesch qui arrive à la fin de cette chronique comme un verre d’eau claire après un grand dîner trop épicé.

Alesch, voilà un artiste que je voudrais faire un peu connaître à ceux qui s’intéressent à l’art populaire. Les Tchèques voient en lui leur Walter Crane, ils ont raison : mais un Walter Crane paysan, patriote, pamphlétaire et incorrect de dessin, comme pour mieux se rapprocher des humbles à qui l’expression parle infiniment mieux que la plasticité. Il a illustré les gestes et les chansons des rues et des bois de la Bohême, il a couvert de graphites les maisons de Prague et de Pilsen. Son activité a tout embrassé : on a de lui des meubles et des jeux de cartes, de beaux albums, des calendriers et des éphémérides… Ceux qui ne comprennent rien aux broderies et aux mélodies paysannes slaves, aux contes populaires romains, aux naïves décorations campagnardes appliquées à tous les menus objets usuels chez toutes les populations sont à l’Est de l’Oder, de la Sumava (Forêt de Bohême), de la Leitha et du Tagliamento, feront bien de ne pas frapper à la porte d’Alesch. Ceux que ravit la force autochtone de l’esprit national peuvent aller herboriser sur ses terres : la société Manesch vient de publier deux volumes recueillis un peu au hasard, à tort et à travers du double ou triple millier de dessins épars d’Alesch. Après une symphonie de Brûckner et une visite à la galerie Lichteustein, feuilleter me donne l’impression de cueillir et de manger fraises et myrtilles dans les bois de Pisek, au bord des sources chanteclaires.

1896.
william ritter.



Frontispice de R. FOUGERAY DU COUDRAY
pour les Bains de Bade de RENÉ BOYLESVE.


ASPECTS


XVIII
DES JEUNES


M. Fernand Gregh : La maison de l’enfanceM. André Lebey : Chansons grisesM. Maurice Magre : le RetourM. Paul Arden ; des EnfantsM. Eugène Montfort : SylvieM. Maurice Le Blond : Essai sur le naturismeM. Saint Georges de Bouhélier : L’Hiver en méditation.


J’imagine que dans une centaine d’années, balayant la poussière où dormiront nos œuvres, les hommes futurs seront ébahis, éblouis aussi, comme d’un vol soudain d’oiseaux d’or, par la radieuse tempête d’idées, de sensations et de rêves qui s’en échappera. Alors on comprendra le glorieux entêtement qui nous fit rechercher la beauté en cent voies diverses, parmi les clameurs ordurières de la démocratie et les rires dénigrants de ces hoplites rompus : nos Aînés. On louera le dédain que nous leur témoignâmes. Couvrant d’un large pardon nos erreurs, nos chutes et nos querelles, plusieurs diront : « Tout meurtris encore du combat que se livrèrent en eux les fantômes de la Foi et les jeunes forces ardentes de la Science, ravis par l’aube qui remplissait lentement de merveilles leurs yeux qu’effaroucha la nuit sans étoiles, ces morts parvinrent enfin à découvrir que leur âme unanime échappait aux mensonges des vieux âges pour avoir conçu, malgré les leçons des rhéteurs, la réalité splendide de l’univers. »

Aujourd’hui, confiants dans notre force, sûrs que notre labeur fut probe, nous devons, plus que jamais, nous bander contre la médiocrité ambiante, mettre notre orgueil à repousser les avances des vieilles prostituées qui nous invitent à remplir avec elles ce tonneau sans fond ; l’opinion publique et répondre à leurs caresses par des coups de fouet. Toute pierre qui nous frappe se change en diamant : le silence autour de nous prépare les acclamations de l’avenir. Parce que nous travaillons sans cesse, parce que nous méprisons la notoriété, les amulettes officielles et l’applaudissement des serviles, notre œuvre connaîtra la gloire. Car comme l’a dit un voyant : « La gloire est le soleil des morts. » Phrase fatidique et qui s’inscrit en lettres fulgurantes sur toutes les portes de la cité des Verbes.

Des livres sont là qui me charment par la bonne foi de ceux qui les écrivirent. Je ne crois pas qu’aucun d’entre eux se soucie beaucoup d’être approuvé par les marchands de réputation. Si pareille aventure leur arrivait, ils s’en offusqueraient. sans doute, comme d’un outrage. Tels éloges imbéciles les feraient douter de leur valeur, puisqu’il est physiologiquement impossible qu’un des individus qui s’extravasent aux papiers publics sous couleur de critique littéraire admette la renaissance que nous instaurons. Cependant, par grand hasard, ce phénomène d’une louange compréhensive dans un journal a lieu quelquefois. Dans ce cas, il faut savoir gré au signataire de l’article d’avoir oublié, un instant, d’être « bien