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Comment t’arracher pourtant à l’abîme des ténèbres,
Te soulever sur ma poitrine, cher ange aimé,
Et pencher mon visage en larmes sur ton visage,
Noyer ton souffle de mes baisers brûlants
Et réchauffer ta main fiévreuse dans mon sein,
La garder tout près, encore plus près de mon cœur.

Mais, hélas ! tu n’es pas une figure réelle, telle que tu passes,
Et ton ombre se perd dans les froides ténèbres,
De sorte que je me retrouve, seul, les bras ballants,
Avec la triste souvenance du rêve beau !
En vain les tends-je vers ta douce ombre :
Des flots du temps je ne peux te saisir.[1]


D’autres citations encore nous eussions dû offrir pour mieux convaincre et plus durablement émouvoir le public auquel le nom même de notre poète demeura jusqu’ici inconnu. Nous croyons que celles qu’on vient de lire sont déjà d’assez fortes expressions de l’inquiétude qui pèse sur les dernières époques de la littérature romantique, et autant de nouveaux côtés par lesquels Mihaïl Eminescou contribuera à la compréhension de la physionomie générale de l’Européanisme intellectuel au xixe siècle.

Mony Sabin.


Une longue étude-introduction accompagnera la première traduction des poèmes complets d’Eminescou qu’éditera la Plume. On y trouvera, réunis, tous les détails et documents que nous ayons jusqu’à présent sur l’existence si passionnante et tragique du plus grand des poètes roumains[2]. Nous nous bornons ici à indiquer quelques dates : — Né à Botoschani le 15 janvier 1850, Eminescou fit ses premières études d’abord à Cernautz où un professeur, Aron Pumnul, changea son nom de famille qui était Eminovici en Eminescou, puis, après une brève fonction au Comité permanent de Botoschani, il les continua en 1864 à Blaj (Transyvalnie) d’où bientôt il disparut soudain pour suivre des troupes d’acteurs, avec lesquelles il traîna si misérablement qu’il devint palefrenier à Giuourgiou, toujours un Schiller dans sa poche. Fin 1868 il fut rencontré par l’écrivain Carageali et au printemps de 1869 retrouvé par son père et envoyé à Vienne, d’où il donna au « Convorbirile literare » de Jassy les poèmes Vénus et Madone, Épigones et Mortua est. Le premier accès de folie, semble-t-il héréditaire, l’obligea de rentrer à la maison paternelle d’Ipotesti où il fut soigné par son frère, étudiant en médecine, et d’où bientôt il repartit pour Iéna. En 1872 il alla à Berlin, d’où datent le Dionise et L’Égypte. Entre 1874 et 1876 il fut inspecteur d’enseignement primaire et biblio-


  1. Des flots du temps, 1883.
  2. Cet ouvrage est en souscription. S’adresser, pour tous renseignements, à la Plume, 54, rue des Écoles, Paris, Ve.