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pas nettement le sens. Il n’y a de responsabilité que la responsabilité personnelle, que celle qui est portée par un moi. On peut être responsable de soi et pour soi. Mais qu’est-ce que la responsabilité d’un être anonyme, d’une foule, d’une administration, d’un corps, d’un clan mondain ? — Il ne faut pas confondre responsabilité collective et responsabilité partagée. Cette dernière expression peut s’entendre. Dans certains cas, une responsabilité partagée est possible parce qu’elle est assignable, parce qu’elle est susceptible d’être répartie entre les personnes qui ont participé à l’acte. Par exemple, un vol est commis. On en sait les circonstances et les détails. On sait qui a été l’instigateur, qui a fait le guet, qui a opéré l’escalade ou l’effraction, qui a été le receleur. — Ici on peut parler de responsabilité parce que la part d’initiative de chacun, et par conséquent sa part de responsabilité, peuvent être déterminées. Tout autre est le cas quand il s’agit d’une foule, d’un corps constitué, d’un clan mondain ou encore quand il s’agit de ces mille influences sociales anonymes, fugaces et insaisissables et pourtant tenaces et toutes puissantes, qui forment à un moment donné ce qu’on appelle l’opinion. C’est en vain qu’ici vous essaierez de fixer des responsabilités ; il n’y a ici qu’une responsabilité anonyme, c’est-à-dire une responsabilité nulle. C’est là l’idéal cher à la veulerie contemporaine : l’Impunité du groupe. — L’impunité du groupe couvre la rosserie des individus.

Car il ne faut pas être dupe de cette expression : un groupe. — Un groupe est une abstraction. Dans tout groupe il y a des meneurs et des menés, des donneurs de mots d’ordre et des suiveurs. À notre stade de civilisation que Sighele appelle si bien le « stade hypocrite » et qu’il oppose à la criminalité violente des âges antérieurs, les meneurs aiment à ne pas se compromettre. Ils aiment à rester dans l’ombre. — À vrai dire, la distinction faite par Sighele entre l’âge de la Violence et l’âge de la Ruse est peut-être trop absolue. On peut évoquer comme type d’époque intermédiaire la Renaissance italienne, se rappeler par exemple ce prince Colonna dont Beyle a esquissé la figure dans l’Abbesse de Castro et qui donnait comme mot d’ordre à ses soldats de ne jamais dire la vérité, dans aucune circonstance, même quand ils ne soupçonneraient pas l’utilité de ces mensonges.

Il n’en reste pas moins vrai, en gros, que parmi nous la mentalité de groupe, favorisée par la multiplication et la complication croissante des cercles sociaux, se caractérise par un besoin croissant de dissimulation, par une horreur pour le coup droit qui démasque le tireur, par une sympathie pour la tartuferie et le pharisaïsme de groupe.

Dans tout groupe il y a une certaine quantité disponible de méchanceté humaine, une certaine quantité de cruauté virtuelle, de dispositions latentes à la raillerie, à la calomnie, au dénigrement, à l’agression sournoise.

Cette énergie spéciale tend, comme toute énergie, à s’écouler et se déployer