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L’esprit de la jeune fille était inébranlable comme des lansquenets suisses, comme une muraille d’airain.

Soudain elle sourit de la vanité de l’objet.

« Pourquoi ris-tu ? »

La jeune fille retira le col, le coupa en deux et le laissa tomber.

Le gorille gémit intérieurement ; ses cheveux sur sa tête s’affaissèrent.

La dame dit doucement : « Sotte fille… »

La jeune fille prit la main de la maman, la baisa et dit : « Toi, maman, tu ne comprends pas ça. Autrefois vous étiez parfaites de vous-mêmes. Rien ne vous minait, rien ne vous fouettait. Pensant doucement, d’une âme légère, vêtues de légères mousselines, vous restiez assises dans vos chambres et quelqu’un venait qui vous prenait à propos de rien. Mais nous… »

« Alors, je suis tout à fait bornée ?  ! imparfaite ?  ! »

La petite jeune fille doucement : « Mais nous, nous devons nous parfaire nous-mêmes ! »

« Je ne comprends pas ça. »

« Aujourd’hui, je m’achète de petites haltères d’un quart de kilo. »

« Tu es folle, Dodo. N’as-tu pas fait de la gymnastique pendant trois ans chez Chimani !  ! »

« Il faut en faire éternellement, de la gymnastique, maman ! non pendant trois ans chez Chimani ! »

…Au souper, la dame dit : « Depuis aujourd’hui, papa, mademoiselle Dodo ne porte plus de faux-cols empesés. »

Le père pensait : « Ce truc pour mon client, avec des câbles électriques, personne ne pouvait l’inventer, personne que moi ! que moi ! »

Puis il dit : « À quoi penses-tu, maman ? »

« À rien… », dit la dame, et elle écrasa dans les salières de sympathiques petits morceaux de sel et les enfonça avec la pointe de son couteau.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mademoiselle Dodo ne porta pourtant point longtemps de cols ronds en soie molle, ni même le cou tout nu.

Car la tante Z… avait dit à maman : « Sais-tu ce que ça produit ? Un scandale, ma chère ! »

Mais le soir, quand la petite jeune fille était étendue dans son lit, elle prenait la vieille découpure de journal et, comme dans une bible, lisait les vœux de l’Anglaise inconnue, si aimée et respectée, et pensait :

« Ma petite-fille aura le cou libre, et elle sera si belle et si forte qu’elle pourrait marcher nue dans les rues, malgré le vent et les tempêtes !

Ma petite-fille ! »

Peter Altenberg
(Traduit par A. Basler et R. Meunier).