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CHRONIQUES
Oui nos rêves. Cette petite fumée , après quoi s’acharne toujours notre course aux sécurités, soudain s’évapore et c’est à recommencer. Et nous cherchons un feu nouveau. Je pense à cette jarre qui dans un décor de Chirico, tout près de cette maison, dont vous disiez, Breton, qu’elle devait abriter un sphinx, reste sur une scène vide après le départ
—
enfin — des dan-
seurs importuns. Allons-yde notre petit symbole. Les danseurs importuns, ce sont les divertissements quotidiens et qui ne gardent même point cette séduction pittoresque dont la qualité certes n’est pas grande, mais dont nous espérions qu’elle pourrait aider encore à quelque illusoire passe-temps. Mais le temps ne passe, ni ne coule. Les danseurs sont partis et ont bien fait de partir. La jarre est seule sur la scène. Une fumée sort de la jarre. Me direz-vous qu’un bossu y est caché qui fume benoîtement sa pipe ? Qu’on appelle le bossu instinct sexuel ou de conservation, ne montent pas moins de la jarre, de notre sommeil, la fumée, les rêves. Et ces rêves, cette fumée ne sont point la somme d’une jarre, d’un bossu, d’une pipe, non plus que d’un sommeil, d’un corps, d’un instinct. Nous n’avons pas la stupide consolation de nous séparer en tranches, en quartiers. Réel et impondérable un nuage s’élève de mes heures libres. Mais au réveil il me faut avouer que je me rappelle moins les images que cet état qui en naquit. Recommençant une vie contrôlée, j’essaie avec les moyens de ma petite expérience aux yeux ouverts, de suivre en sens inverse ce que nos pédants baptisent processus, et, parti d’un état vague mais péremptoire cherche des précisions qui ne parviendront, du reste point à nie sembler indéniables. Au fur et à mesure que le jour m’éloigne du rêve nocturne, l’état qui en fut le résultat, s’évaporant, je suis, pour le recréer, contraint de courir après un plus grand nombre d’images, de mots. Ainsi naît cette tentation de l’art. On prend la. jarre, un bossu. On prend un corps, un sexe. On p.rend une toile, des pinceaux. On prend du papier, une plume. Hélas il n’y a plus ni fumée, ni rêves. Un enfant interrogé au matin expliquera sa joie ou sa terreur nocturnes par un seul fait. A midi les accessoires du songe auront été multipliés, deux heures après triplés et ainsi de suite. Donc nous cherchons les sensations nettes et insuffisantescapables de recréer un état vague et. suffisant. Je rêve d’un goût de chair humaine (non caressée, ni mordue, mais mangée). Je me réveilleavec une surprisedans la bouche.Comment y vint-elle. Je crois (pie j’ai vu des guirlandes de peau décortiquée. Ces guirlandes ornaient ma chambre, alourdies de fruits humains semblables à ces lampions du M juillet. Je suppose que j’ai dû cueillir un de ces fruits, le manger. Mais cette hypothèse et les images dont j’ai tentation de l’embellir ne suffisent point. Je suis sûr d’un goût de chair dans ma bouche. La langue est une île inconnue dans la géographie des rêves, et pourtant quand j’ai cessé de dormir, ma langue, oui, ma langue pensait qu’il n’était guère difficile de devenir anthropophage. Voilà un rêve qui n’est guère pittoresque. Pourtant, je le donne pour un de mes plus étranges. Il m’a hanté tout un jour et tout un jour A la recherche de cette secousse qui me fit l’égal eonfus de Dieu, j’essaie de bâtir une tour qui n’arrivera jamais à me mener si haut que cette fumée au goût de chair humaine.
Notre sommeil coupé en deux, nous nous apercevons que l’esprit libéré ne s’enchaîne point toujours à ces soi-disant merveilles qu’il plaît: à nos minutes lucides d’amonceler. Bien plus (pie des dragons ou les éruption..;des volcans de porcelaine m’épouvante ce nettovage par le vide qui nie vaut par exemple de rêver que je ne rêve point et aussi une combinaison des plus stricts et plus lucides raisonnements. Eveillé en sursaut, je me surprends occupé à quelque travail inexorablement logique. Mais suis-je fou car j’ai eu un rêve qui ne l’était pas RF.NICCRTÎVKL.
.ï/d/iHait.