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= LE SURREALISME ET LA PEINTURE = 27

y puise la plus grande partie de sa force de provocation et Dieu sait si cette provocation est grande, car je ne puis comprendre à quoi elle tend. Que m’importe que les arbres soient verts, qu’un piano soit en ce moment « plus près » de moi qu’un carrosse, qu’une balle soit cylindrique ou ronde ? C’est pourtant ainsi, si j’en crois mes yeux, c’est-à-dire jusqu’à un certain point. Je dispose, en pareil domaine, d’une puissance d’illusion dont, pour peu que j’y prenne garde, je cesse d’apercevoir les limites. Rien ne s’oppose en ce moment à ce que j’arrête mon regard sur une planche quelconque d’un livre et voici que ce qui m’entourait n’est plus. A la place de ce qui m’entourait il y a autre chose puisque, par exemple, j’assiste sens difficultés à une tout autre cérémonie... Sur la gravure l’angle du plafond et des deux murs parvient sans peine à se substituer à cet angle-ci. Je tourne des pages et, en dépit de la chaleur presque incommodante, je ne refuse pas la moindre part de mon consentement à. ce paysage d’hiver. Je me mêle à ces enfants ailés. « Il vit devant lui une caverne illuminée » dit une légende et, effectivement,je la vois aussi. Je la vois comme à. cette heure je ne vous vois pas, vous pour qui j’écris, et pourtant j’écris pour vous voir un jour, aussi vrai que j’ai vécu une seconde pour cet arbre de Noël, pour cette caverne illuminée, ou pour les anges. Entre ces êtres évoqués et les êtres présents, la différence a beau rester sensible, il m’arrive à chaque instant d’en faire bon marché. C’est ainsi qu’il m’est impossible de considérer un tableau autrement que comme une fenêtre dont mon premier souci est de savoir sur quoi elle donne, autrement dit si, d’où je suis, « la vue est belle», et je n’aime rien tant que ce qui s’étend devant moi à perte de vue. Je jouis, à l’intérieur d’un cadre de n figure, paysage ou marine d’un spectacle démesuré. Que viens-je faire là, qu’ai-je à dévisager si longuement cette personne, de quelle tentation durable suis-je l’objet ? Mais c’est un homme, paraît-il, qui me fait cette proposition ! Je ne me refuse pas à le suivre où il veut me mener. C’est seulement ensuite que je juge si j’ai bien fait de le prendre pour guide et si l’aventure dans laquelle il m’a entraîné était digne de moi. Or, je l’avoue, j’ai passé comme un fou dans les salles glissantes des musées : je ne suis pas le seul. Pour quelques regards merveilleux que m’ont jeté des femmes en tout semblables à celles d’aujourd’hui, je n’ai pas été dupe un instant de ce que m’offraient d’inconnu ces murs souterrains et inébranlables. J’ai délaissé sans remords d’adorables suppliantes. C’étaient trop de scènes à la fois sur lesquelles je ne me sentais pas le cœur de jouer. A travers toutes ces compositions religieuses,toutes ces allégories champêtres, je perdais irrésistiblement le sens de mon rôle. Dehors la rue disposait pour moi de mille plus vrais enchantements. Ce n’est pas ma faute si je ne puis me défendre d’une profonde lassitude à l’interminable défilé des concurrents de ce prix de Rome gigantesque où rien, ni le sujet ni la manière de le traiter, n’est laissé facultatif. Je n’entends pas par là faire entendre qu’aucune émotion ne peut se dégager en peinture d’une « Léda », qu’un soleil déchirant ne puisse se coucher dans un décor de « palais romains », ni même qu’il soit impossible de donner quelque semblant de moralité éternelle à l’illustration d’une fable aussi ridicule que La Mort et le Bûcheron. Je pense seulement que le génie ne gagne rien à emprunter ces chemins battus ou ces voies détournées. De telles gageures sont pour le moins inutiles. Il n’est rien avec quoi il soit dangereux de prendre des libertés comme peut-être avec la liberté. Mais le stade de l’émotion pour l’émotion une fois franchi, n’oublions pas que pour nous, à cette époque, c’est la réalité même qui est: en jeu. Comment veut-on que nous nous contentions du trouble passager que nous procure telle ou telle œuvre d’art ? 11n’y a pas une œuvre d’art qui tienne devant notre primitivisme intégral en ce sens. Quand je saurai où prend fin en moi la terrible lutte du vécu et du viable, quand j’aurai perdu tout espoir d’accroître dans des proportions stupéfiantes le champ réel, jusqu’ici parfaitement limité, de mes démarches, quand mon imagination, en se repliant, sur elle, ne fera plus que coïncider avec ma mémoire,je m’accorderai volontiers, comme les autres, quelques satisfactions relatives. Je me rangerai alors au nombre des brodeurs. Je leur aurai pardonné. Mais pas avant ! Une conception très étroite de l'imitation, donnée pour but à l’art est.à l’origine du grave malentendu que nous voyons se perpétuer jusqu’à nos jours. Sur la foi que l’homme n’est capable que de reproduire avec plus ou moins de bonheur l’image de ce qui le touche, les peintres se sont montrés par trop conciliants dans le choix de leurs modèles. L’erreur commise fut de penser que le modèle ne pouvait être pris que dans le monde extérieur, ou même seulement qu’il y pouvait être pris. Certes la sensibilité humaine peut conférer à l’objet d’apparence la plus vulgaire une distinction tout à fait imprévue ; il n’en est pas moins vrai que c’est faire un piètre usage du pouvoir magique de figuration dont certains possèdent l’agrément que de le faire servir à la conservation et au renforcement de ce qui existerait sans eux. Il y a là une abdication inexcusable. Il est impossible en tout cas, dans l’état actuel de la pensée, alors surtout que le monde extérieur