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DÉCADENCE DE LA VIE

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Vous vous croyez subtils parce que vous avez de la barbe et des principes, parce que vous ventripotez et redondez parmi les soucoupes et les bières lourdes, parce que vous avez les ongles mal faits ou parce que vous sentez un peu cette bonne encre d’imprimerie ! Vous suez pour faire un mauvais papier et vous savez peut-être l’usage des termes techniques. Tant pis pour vous, je ne me plais pas dans votre milieu de cuistres crasseux et d’andouillcs. Les femmes ne sont pas des êtres ordinaires dont on s’imagine la pire horreur. Enfantement, maladies, servitude. Les femmes ne sont pas ces femmes laides ni même les femmes laides. Elles n’ont pour elles cpie la joie du jour des larmes de la lune ou la pluie des déluges d’acier. Femmes parfaites du temps et de l’espace, habilléesd’églantines ou de liserons,femmes maudites au front pur, à l’oeilclair. Femmes accourues au bord de la Seine de l’Orient comme un sang d’une belle rougeur. CHAPITRE

D’où vient à l’hommela plus

durable des jouissancesde son

coeur,cette voluptéde la mélancolie, ce charmepleinde secrets qui ie fail vivre de ses douleurs el S’aimerencoredans le sentiment de sa ruine?

(Seiinnconr— Obcrman).

Je cherche une histoire à vous dire, une histoire dans les tressaillements de ma mémoire, mais je n’ai pas beaucoup vécu. Non, je n’ai pas beaucoup vécu peut-être, mais j’ai peut-être quelque chose à dire car si j’ai pu concevoir que je pouvais encore exister, c’est qu’il m’a fallu bien autre chose que la simple force de caractère à la portée de toutes les bourses, bien autre chose que l’image de la folie populaire et bien autre chose que les simples considérations agréables que je pouvais faire sur ma personne et si je parle assez souvent avec tristesse, il ne faut s’en prendre qu’à mon terrible penchant pour la poésie, ce magistral penchant que des êtres infâmes ont toujours cherché à contrarier dans mon enfance. Non je n’ai pas beaucoup vécu mais ii me semble que j’ai quelque chose à dire. Parmi les forêts vierges où mes pas n’ont laissé que des traces de cendre, parmi les pays et les mers mauvaises, parmi l’imagination des races et les ruines de leurs enseignements, parmi mes oiseaux de tempête, parmi les animaux sauvages à l’époque où je fréquentais les déserts, parmi les petites rues froides où le vent siffle à faire peur, parmi les désirs, parmi mes poèmes, parmi mes amis, il y a peut-être un seul mot qui me touche, une seule syllabe très douce et très tendre comme les fraises des bois. O le miracle d’un nom prononcé au hasard et qui me touche, qui fasse vibrer sur mes joues une larme figée depuis l’époque de ma naissance. Et pour ce nom qui serait de toute façon un nom de femme, la terre immédiatement folle deviendrait un boeuf pourri sans consistance voguant parmi les rêves nocturnes des planètes ADAM ET EVE

Picasso.

austères à jamais détournées de leurs devoirs. La vie s’est ouverte pour moi dans un jardin de plumes ridicule et frais. Pour vivre, je mangeais des oiseaux minuscules vivant près des sources et tous d’un blanc lumineux. Après cela, ce fut la prison.

La prison avec ses grillages de glaces incassables et ses murs abstraits, si hauts qu’ils dépassent le ciel et ne laissent entrevoir que leur gris taciturne, la prison avec toute sa honteuse traîtrise, la prison parmi les prêtres faux et terriblement noirs, en un mot, les prêtres qui ont terrifié mon enfance. O pauvre de moi qui fus cette victime maudite ! J’étais un écolier brutal, vague et solitaire, mais j’étais un écolier de cristal.