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DÉCADENCE DE LA VIE

J’avais assez de coeur et j’imaginais autrement mes camarades qui furent tous de véritables voyous. La richesse des uns et le travail des autres, voilà qui n’était pas pour me satisfaire. J’avais dans mon coeur cette- lumière incertaine, mais terriblement brûlante qui me conduisait par delà les tableaux noirs et les pupitres fantômes vers l’infini éternel de la poésietout entière et c’est pourquoi je me plais à raconter cette histoire, après tout peut-être extraordinairement fausse.

Je ne veux plus reconnaître les individus qui me méprisèrent à cette époque parce que mon esprit s’épouvantait devant leurs menaces et parce qu’ils ont voulu me perdre dans un but sr.^ial.

Un soir, figurez-vous un soir où la pluie fine du printemps transperce à chaque minute le coeur fragile d’une prostituée de 15 ans, je faisais des rêves par delà l’amertume et vers un palais souple et gracieux, situé quelque part dans le monde moderne où devait vivre une femme blonde et douce à qui je voulus offrir mes ivresses.

J’allai par des sentiers de ronces après avoir quitté la ville, j’allai comme un jeune fou perfide pour contempler son émotion et je laissai quelque lambeau de mon coeur à toutes les haies de mûriers en fleurs :

Demain tu partiras vers les planètes folles Les glaces qui brisèrent nos deux coeursenlacés O plaintes de ces nuits je m’en souviens à peine Les corbeaux s’envolaient avec la nudité. Il en est bien qui savent jouer de tant de jeux de rêves et de pardons et de grandes paroles Mais j’ai mieux travaillé dans la chair éternelle à bientôt donnez-moivos plus douces paroles. O voir où j’ai cueilli parmi vos chevelures des couronnes de miel ô jemmes bien aimées J’ai mis sur vos épaules un beau manteau de neige ci. c’est parmi le feu que je baisais vos pieds Il y avait des ombresavec des yeux morts et mes lèvresétaient rougesd’un sang trèsImmain et pour chanter ainsi que les poètesen fête j’ai cueilli dans vos mains deux gouttesde rosée. C’est ainsi que mon voyage à travers la folie commençait ! Maisà cette époque, ne connaissant de véritables poètes, j’étais plus heureux et je m’abandonnais aux songesles plus purs. Il y avait bien d’autres aventures qui me torturaient l’esprit. Toujours ô monde imaginaire comme je brandissais ton emblème sacré ! Paris était une fée. Les rues étroites parcourues par de multiples étoiles s’envolaient vers le ciel. Celles-làque je reconnaissais pour les avoir vues par ma fenêtre dépolie, c’est-à-dire qu’elles brillaient depuis toujours dans mon coeur. Des hommes d’armes moyennageux se disputaient près de moi la conquête des lumières et du bruit tandis que je suivais les pas de trèfle de quelques princesses voilées, très tard dans les ombres du crime. Les mots magiques me montaient au cerveau quand il s’agissait de leurs fourrures parfumées. Enflammé de leur possession, les nombres s’échappaient de mon esprit ; je n’avais plus qu’un esprit de fourrure et caché du regard vitreux des voleurs d’âmes, dissimulé derrière les traînes de leurs robes, je me jetai dans leurs bras pour l’infini. Quelquefois je suivais les belles automobiles jetées comme des gants sur les routes polies et parfaitement nickelées pareilles aux diamants ; je suivais, je suivais des apothéoses de rêves plus loin que l’avenir, toutes les formes de la matière soluble dans mes espérances ! Mais pourquoi donc ces armées se battaient-elles au pied de mes rêves ? Ces troupeaux d’individus qui se rendaient chaque jour vers les champs de carnage, hideux et vils et prêts à toutes les défaillances! Il y avait vraiment pour ma jeunesse trop de vieillards, et trop de gens capables de rire. Croyez-vous donc que vous êtes d’accord, misérables humains ? Croyez-vous donc que vous pouvez rire encore devant toutes vos putréfactions ?

Et vous qui m’avez jeté dans les.bras 

de ces marchands, ces instituteurs repus dont la seule méchanceté permet encore l’existence, supposez-vous donc que je vous pardonnerai de sitôt, pauvre société !

Oui, je n’ai jamais pu traîner que des sandales sinistres au milieu des forçats de mon enfance. Un jour — il ne pouvait en être autrement — je partis vers une caravane pour chercher à savoir si la réalité exista.

Les sources coulent,au milieu des campagnes, parfaites avant de s’embourber au milieu des villes, les fantômes ne sont pas des sources, mais aussi grands qu’ils apparaissent ils sont les vrais miroirs de notre vie.

Maintenant que je suis perdu pour toujours dans le sens des hommes, cela va bien faire de leur dire toutes ces choses. Je vous lègue au hasard, vous autres, spectres, nagez dans vos rivières froides sans songer qu’il y a aussi ceux-là mêmes que vous avez condamnés : les rêveurs du moment.

Et voilà que je rencontrai des prophètes. Ils sont couverts d’étoiles et ne marchent pas sur la terre, mais on les voit quelquefois dans la pénombre des magies surhumaines et dans toutes les failles de l’intelligence.