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VIE D’HÉRACLITE
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nière dont il fallait empêcher les séditions. Héraclite monta dans une chaire élevée ; il demanda un verre qu’il remplit d’eau froide, y mêla un peu de légumes sauvages ; et, après avoir avalé cette composition, il se retira sans rien dire. Il voulait faire connaître par là que, pour prévenir les séditions, il fallait bannir le luxe et les délices de la république, et accoutumer les citoyens à se contenter de peu.


Le cadavre exquis

Héraclite composa un livre de la nature, qu’il fit mettre dans le temple de Diane. Il était écrit d’une manière très obscure, afin qu’il n’y eût que les habiles gens qui le lussent, de peur que si le peuple y trouvait goût, il ne devînt trop commun, et que cela ne le fît mépriser. Ce livre eut une réputation extraordinaire, parce que, dit Lucrèce, personne n’entendait ce qu’il voulait dire. Darius, roi de Perse, en ayant entendu parler, écrivit à l’auteur pour l’engager à venir demeurer en Perse, et le lui expliquer, lui offrant une récompense considérable, et un logement dans son palais ; mais Héraclite le refusa.

Ce philosophe ne parlait presque jamais ; et, quand quelqu’un lui demandait la raison de son silence, il répondait d’un air chagrin : C’est pour te faire parler. Il méprisait les Athéniens qui avaient un respect extraordinaire pour lui, et voulait demeurer à Éphèse, où il était méprisé de tout le monde.

Il ne pouvait regarder personne sans pleurer des faiblesses humaines, et du dépit qu’il avait que rien ne fût à son gré. La haine qu’il portait à tout le monde, fit qu’il résolut de s’en séparer tout à fait ; il se retira dans des montagnes affreuses, où il ne voyait personne ; il passait sa vie à gémir, et ne mangeait que des herbes et des légumes.

Héraclite croyait que le feu était le premier principe de toutes choses.

Il tenait que ce premier élément, en se condensant, se changeait en air ; que l’air, se condensant aussi, devenait eau ; qu’enfin, l’eau, de la même manière, devenait terre ; et qu’en rétrogradant, la terre en se raréfiant, se changeait en eau, d’eau en air, et d’air en feu, qui était le premier principe de toutes choses.

Que l’univers était fini ; qu’il n’y avait qu’un monde ; que ce monde était composé de feu, et qu’à la fin il périra par le feu. Que l’univers était rempli d’esprits et de génies.

Que les dieux n’ont point de providence, et que tout ce qui arrive dans l’univers doit être rapporté au destin.

Que le soleil n’est pas plus grand qu’il nous paraît ; qu’il y avait au-dessus de l’air des espèces de barques dont la partie concave était tournée vers nous ; que c’était là où montaient toutes les vapeurs qui s’élèvent de la terre, et que tout ce que nous appelons des astres n’était autre chose que ces petites barques remplies de vapeurs enflammées qui brillaient de la manière que nous le voyons, que les éclipses du soleil et de la lune arrivaient lorsque ces petites barques tournaient leur côté concave vers la partie opposée à la terre, et que la raison des différentes phases de la lune, était que sa barque ne se tournait que peu à peu.

Quant à la nature de l’âme, il disait que c’était absolument perdre son temps que de s’amuser à la chercher, puisqu’il était entièrement impossible de la trouver, tant elle était cachée.

La vie dure que menait Héraclite lui causa une grande maladie : il devint hydropique. Il retourna à Éphèse pour se faire traiter ; il alla trouver des médecins ; et comme il ne parlait jamais que par énigmes, il leur dit, faisant allusion à sa maladie : Pourriez-vous bien convertir la pluie en un temps sec et serein ? Comme ces médecins n’entendaient pas ce qu’il voulait dire, Héraclite alla s’enfermer dans une étable à bœufs ; il s’enterra dans le fumier, afin de faire évacuer les eaux qui étaient cause de sa maladie ; il s’y enfonça si avant, qu’il ne put jamais s’en retirer. Quelques-uns disent que les chiens le mangèrent dans ce fumier ; et d’autres, qu’il y mourut faute d’avoir pu se débarrasser. Il était pour lors âgé de 65 ans.

Fénelon.