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mieux et moins bien

n’êtes pas encore atteints par cette apathie mortelle, dites-nous le secret de votre persévérance. Faut-il vous obliger ? » Car le surréalisme continue à vivre, les surréalistes ne se démentent pas, et les critiques seraient cependant si heureux de nous voir tomber !

Assurément, tous les hommes qui nous posent ainsi la question cardinale, qui nous somment de faire l’aveu d’un mensonge, ou tout au moins d’une escroquerie, qui nous reprochent d’avoir souscrit au programme et à l’action communistes, puis, pour certains d’entre nous, de n’avoir pu défendre efficacement ce programme, qui nous reprochent des publications, mais non le talent, sont les mêmes dont la caractéristique certaine est l’absence de désirs. L’absence de désirs, c’est une abondance, un foisonnement, de velléités médiocres, de volontés oscillant entre le conservatisme rafraîchi et la fougue frelatée des «  métamorphoses des conditions intérieures de l’âme ». Poussé par une honnêteté toute relative dont la plus vulgaire logique fait les frais, on nous adjure de renoncer à poursuivre un chemin qui ne suppose que des «  trahisons » successives. On voudrait que nous atteignions cette eau calme : le désir de l’absence. Les étudiants groupés autour de la revue Philosophies nous avaient appelés, en 1924, «  hurleurs de mort », car nous préconisions certaines destructions, tandis que la mesure positive, le relief de notre désespoir n’étaient pas apparents. Aujourd’hui c’est le peu bouleversant A. Artaud, cabot inquiet de ses rôles, qui nous «  stigmatise » : «  … leur amour du plaisir immédiat, c’est-à-dire de la matière, leur a fait perdre leur orientation primitive, cette magnifique puissance d’évasion dont nous croyions qu’ils allaient nous dispenser le secret. » C’est aussi, avec la molle sympathie qu’on lui connaît, Drieu la Rochelle qui supplie : «  … Vous ne reniez pas le surréalisme — et ce serait à désespérer de vous — et de tout si vous y incliniez le moins du monde. Mais, ce que je vous reproche, c’est que la foi que vous avez dans le centre de votre originalité et de votre efficacité ne reprenne pas mieux tout son pouvoir attractif sur votre souci, et votre effort, et votre espoir ».

Cet élan vers les méthodes bolcheviques de la révolution que les surréalistes ont subi, malgré toutes les maladresses dont il s’est entouré, a été très mal accueilli.

Car il n’est pas jusqu’aux camarades que les préoccupations révolutionnaires marxistes auraient rapprocher de nous, qui n’aient commis les plus vulgaires contresens. Il faut reconnaître que de bien mauvais patrons sévissent. Pour les uns Barbusse, pour les autres «  le bon maître ». Mais n’importe. Là aussi, quoiqu’avec des raisons assez bonnes, n’a-t-on pas prétendu nous mettre en position d’abandonner telles activités donc la «  conformité marxiste » n’apparaissait pas au premier abord ?

Cet état d’esprit a été considérablement entretenu, sans étude réelle, sans explication sérieuse, plausible, sans manifestation intéressante, et uniquement, semble-t-il, pour ne pas abandonner le bénéfice d’une tradition «  culturelle » prolétarienne dont le surréalisme ne paraît évidemment pas donner de gages extérieurs. On sait que cette tradition, qui s’est lourdement affirmée depuis Zola — et non sans quelque légitimité à cette époque — s’est ensuite laissé attacher à des gloires aussi bassement acquises que celles d’Anatole France, ou d’un Barbusse, c’est-à-dire acquises au prix des pires équivoques, et de compromissions multiples dont la plus grave est de prétendre à l’admiration unanime d’une nation honteusement et misérablement bourgeoise.

Ni les uns ni les autres ne semblent s’approcher d’un horizon quelconque.

Ah ! si nos visions se caractérisaient par des millésimes, 1926, 1927… 1930, qui sait ? alors on dresserait la guillotine de l’expérience, on l’apprêterait pour un jour fixe, on exigerait de nous des références…

Certains de nos amis ont essayé de faire la mesure de leur bonne foi, de leurs certitudes, de leurs illusions et de leurs erreurs dans la brochure Au grand Jour (Paris, 1927). Mais les critiques n’ont pas tardé à intervenir, à relever les contradictions, à confronter les citations, à opposer les attitudes, à conclure au désordre, à l’abandon des principes premiers de la liberté, de la poésie ou de l’action révolutionnaire, au désarroi[1].

Peut-être, plutôt que de nous croire agités seulement par des énigmes théoriques, acharnés à fournir une tâche « pour laquelle nous ne sommes pas faits », et fiévreux pour cela, eût-il été plus efficace de faire intervenir une notion cependant bien naturelle : le pessimisme.

Je crois que règne sur ce point une confusion et une mollesse de pensée considérables. Je pense en outre que ce pessimisme

  1. Je passerais sous silence l’interprétation donnée par un ami maladroit si je n’estimais toujours utile de relever l’erreur, même flagrante. Dans une brochure intitulée : Les Desseins de la liberté, M. Alexandre aligne un certain nombre de propositions dont l’inexactitude est le moindre défaut. Il écrit « … les résultats tangibles se faisant par trop attendre, les surréalistes en sont venus très vite à ne plus voir d’autre issue au problème qui leur ronge l’âme et le corps, que dans la révolution matérielle, c’est-à-dire dans la transformation des rapports sociaux », ce qui est un véritable contre-sens et dispense de la critique.