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mieux et moins bien

rend compte assez généralement de la vertu du surréalisme, de sa réalité actuelle, et probablement plus encore de ses développements futurs.

On a souvent vu revenir sous notre plume le mot désespéré. On n’a jamais voulu comprendre ce que nous appelions désespoir, et quelles conditions nous mettions à la perte de l’homme. Rien de nous, cependant, ne peut être entendu hors de ce dessein d’accompagner l’homme à sa perte et de ne rien négliger pour que cette perdition soit utile.

Si la médiocrité variable des générations successives peut nous faire croire que les raisons d’espérer ont, au cours des siècles, varié, la parfaite unité de l’ennui séculaire ne laisse pas de doute sur la persistance et l’invariabilité d’un point de vue pessimiste. L’examen des plus remarquables témoignages de ces états d’esprits respectifs en convainc facilement.

Mais est-il certain que les raisons d’espérer sont toujours en fonction des aspects médiocres — je ne dis pas transitoires — d’une époque, tandis qu’une certaine désespérance fondamentale est le partage des esprits sérieux, non fatigués, durement appliqués à leur objet (presque toujours à eux-mêmes), de tous les âges ? Cette proposition aurait facilement l’allure d’une banalité romantique. Tel n’est pas cependant son véritable sens. Car il faut compter avec la nature des esprits, et retenir que seuls les esprits généreusement ou même maniaquement appliqués à leur objet, disions-nous, c’est-à-dire ceux qui fonctionnent sans crainte ni barrière, attachés à la perpétuelle diversion, aux retours de flamme de la critique, aux raz de marée de l’imagination, aux patientes et infimes découvertes, aux jeux d’ascenseur de la sensibilité, sont en mesure de réaliser la richesse d’un véritable pessimisme. Le vague à l’âme, la faiblesse de tempérament, la fantaisie, le dépit, sont hors de cause. Nous parlons du sens humain, c’est-à-dire, somme toute, vivant, de la désertion et de la perdition. Car hors de là il est certain que sous le vernis facilement écaillé d’une béatitude odieuse et générale s’alourdit aussi la pestilentielle matière du désespoir social. Mais nous ne parlons pas de ce désespoir social, objectivement perçu. Nous parlons des raisons que peut se donner tout homme conscient de ne pas se confier, surtout moralement, à ses contemporains, de ne pas attendre la lumière de leur obscurité naturelle. C’est bien là une assez rare disposition ; mais cette disposition conserve vraiment, à travers les époques, une manifestation constante, assez peu diverse dans son fonds et dans sa forme, et suffisamment discrète, pour se montrer supérieure aux périodiques et molles secousses du contentement public.

C’est-à-dire que ce même pessimisme permettra la recherche de moyens extrêmes pour échapper aux nullités et aux déconvenues d’une époque de compromis — comme le sont presque toutes les époques. Ce pessimisme est à l’origine de la philosophie de Hégel, et il est aussi à la source de la méthode révolutionnaire de Marx.

On voit que ce pessimisme n’est pas la fatigue, et que ce n’est pas non plus l’abandon. Loin de là. La vie qu’il impose doit être exemplaire, quoi qu’elle puisse revêtir mille formes. Je ne doute pas que le « tempérament » joue un rôle dans la détermination de ces formes. Et je concède que chez les surréalistes, contrairement aux marxistes, par exemple, il n’a pas pris la forme politique.

Mais de toute façon, pour pouvoir continuer la discussion, il faut rejeter nettement ces deux apparences du pessimisme : contemplation ou scepticisme, fausse monnaie mais monnaie courante, l’une et l’autre trouvant parfois une misérable excuse dans la fantaisie.

Nous ne pensons pas que le désespoir ait le monopole de la pauvreté, de l’érotisme, de l’imagination, de ces grandes causes d’étonnement et de bien d’autres petites, car il n’a pas seulement ouvert les yeux des « misérables » ; il les leur a même souvent fermés. Il s’est aussi appesanti sur les savants les plus qualifiés et les vieillards au terme d’une carrière égale, voire sur les sociologues. Il a dévoré, et il dévore encore, les révolutionnaires.

Le désespoir est une passion virulente. Il se nourrit de désirs prolongés et profonds. Il met la patience à l’épreuve. Il use d’armes étincelantes.

M. Drieu la Rochelle est loin de compte lorsqu’en son nom il raille la révolution, et même l’amour. Ses dévotions artistiques sont entachées d’un optimisme indélébile. L’amour ne l’a mené qu’au bord d’un talus, voire d’un berceau, jamais au bord d’un gouffre. Son inintelligence l’ennuie. Sa culture scolaire aussi.

Cet excellent écrivain ne s’est-il pas avisé d’écrire à plusieurs reprises des lettres ouvertes aux « Surréalistes » ? Ses espoirs, dans la troisième, provoquent le rire : « À travers votre animation et vos enseignements, j’aperçois la promesse d’une activité qui d’ailleurs sera encore un art, mais un art au sens profondément rénové que j’invoquais au début de cet essai, un art humain, direct, répondant aux besoins les plus élémentaires et les plus urgents, un cri de passion semblable à la prière que la solitude finit par arracher à une âme forte. »

Cette détestable disposition d’esprit n’est d’ailleurs ni de l’optimisme définitif ni de la perversité. Mais cela participe à coup sûr d’un effort qui se généralise pour faire