Page:La Révolution surréaliste, n12, 1929.djvu/10

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ménager notre clientèle de passage. Ni encore bien moins, cela va sans dire, dans les ressources changeantes de ceux qui ont commencé par mettre leur foi en lui. Ce n’est pas un homme dont la révolte se canalise et s’épuise qui peut empêcher cette révolte de gronder, ce ne sont pas autant d’hommes qu’on voudra, et l’histoire n’est guère faite que de leur montée à genoux, qui pourront faire que cette révolte ne dompte, aux grands moments obscurs, la bête toujours renaissante du : «c’est mieux». Il y a encore à cette heure par le monde dans les lycées, dans les ateliers même, dans la rue, dans les séminaires et dans les casernes, des êtres jeunes, purs, qui refusent le pli. C’est à eux seuls que je m’adresse, c’est pour eux seuls que j’entreprends de justifier le surréalisme de l’accusation de n’être, après tout, qu’un passe-temps intellectuel comme un autre. Qu’ils cherchent, sans parti-pris étranger, à savoir ce que nous avons voulu faire, qu’ils nous aident, qu’ils nous relèvent un à un si besoin en est. Il est presque inutile que nous nous défendions d’avoir jamais voulu constituer un cercle fermé et seuls ont avantage à propager ce bruit ceux dont l’accord plus ou moins bref avec nous a été dénoncé par nous pour vice rédhibitoire. C’est M. Artaud, comme on l’a vu et comme on eût pu le voir aussi, giflé dans un couloir d’hôtel par Pierre Unik, appeler à l’aide sa mère ! C'est M. Carrive, incapable d’envisager le problème politique ou sexuel autrement que sous l’angle du terrorisme gascon, pauvre apologiste en fin de compte du Garine de M. Malraux. C'est M. Delteil, voir son ignoble chronique sur l’amour dans le N° 2 de la Révolution surréaliste (direction Naville) et, depuis son exclusion du surréalisme, « Les Poilus », « Jeanne d’Arc » : inutile d’insister. C’est M. Gérard, celui-ci seul dans son genre, vraiment rejeté pour imbécillité congénitale : évolution différente de la précédente, menues besognes maintenant à la Lutte des classe, à la Vérité, rien de grave. C’est M. Limbour, à peu près disparu également : scepticisme, coquetterie littéraire dans le plus mauvais sens du mot. C’est M. Masson, de qui les convictions surréalistes pourtant très affichées n’ont pas résisté à la lecture d’un livre intitulé Le Surréalisme et la Peinture où l’auteur, peu soucieux, du reste, de ces hiérarchies, n’avait pas cru devoir, ou pouvoir, lui donner le pas sur Picasso, que M. Masson tient pour une crapule, et sur Max Ernst, qu’il accuse seulement de peindre moins bien que lui : je tiens cette explication de lui-même. C’est M. Soupault, et avec lui l’infamie totale ; ne parlons même pas de ce qu’il signe, parlons de ce qu’il ne signe pas, des petits échos de ce genre qu’il « passe », tout en s’en défendant avec son agitation de rat qui fait le tour du ratodrome, dans les journaux de chantage comme Aux Ecoutes : « M. André Breton, chef du groupe surréaliste, a disparu du repaire de la bande rue Jacques-Callot (il s’agit de l’ancienne Galerie surréaliste). Un ami surréaliste nous informe qu’avec lui ont disparu quelques-uns des livres de compte de l’étrange société du quartier latin pour la suppression de tout. Cependant, nous apprenons que l’exil de M. Breton est tempéré par la délicieuse compagnie d’une blonde surréaliste. » René Crevel et Tristan Tzara savent aussi à qui ils doivent telles révélations stupéfiantes sur leur vie, telles autres imputations calomnieuses. Pour ma part j’avoue éprouver un certain plaisir à ce que M. Artaud cherche à me faire passer aussi gratuitement pour un malhonnête homme et à ce que M. Soupault ait le front de me donner pour un voleur. C’est enfin M. Vitrac, véritable souillon des idées — abandonnons-leur la « poésie pure » à lui et à cet autre cancrelat l’abbé Brémond — pauvre hère dont l’ingénuité à toute épreuve a été jusqu’à confesser que son idéal en tant qu’homme de théâtre, idéal qui est aussi, naturellement, celui de M. Artaud, était d’organiser des spectacles qui pussent rivaliser en beauté avec les rafles de police (déclaration du théâtre Alfred Jarry, publiée dans la Nouvelle revue française. (*). C’est comme on voit, assez joyeux. D’autres, d’autres encore, d’ailleurs, qui n’ont pu trouver place dans cette énumérafion, soit que leur activité publique soit trop négligeable, soit que leur fourberie se soit exercée dans un domaine moins général, soit qu’ils aient tenté de se tirer d’affaire par l’humour, se sont chargés de nous prouver que très peu d’hommes, parmi ceux qui se présentent, sont à la hauteur de l’intention surréaliste et aussi pour nous convaincre que ce qui, au premier fléchissement, les juge et les précipite sans retour possible à leur perte, en resterait-il moins qu’il n’en tombe, est tout en faveur de cette intention.

Ce serait trop me demander que de m’abstenir plus longtemps de ce commentaire. Dans la mesure de mes moyens j’estime que je ne suis pas autorisé à laisser courir les pleutres, les simulateurs, les arrivistes, les faux témoins et les mouchards. Le temps perdu à attendre de pouvoir les confondre peut encore se rattraper, et ne peut encore se rattraper que contre eux. Je pense que cette discrimination très précise est seule parfaitement digne du but que nous poursuivons, qu’il y aurait quelque aveuglement mystique à sous-estimer la portée dissolvante du séjour de ces traîtres parmi nous, comme il y aurait la plus lamentable illusion de caractère positiviste à supposer que ces traîtres, qui n’en sont qu’à leur coup d’essai, peuvent rester insensibles à une telle sanction.


Et le diable préserve, encore une fois, l’idée surréaliste comme toute autre idée qui tend à prendre une forme concrète, à se soumettre tout ce qu’on peut imaginer de mieux dans l’ordre du fait, au même titre que l’idée d’amour


(*) «Et puis, la barbe avec la Révolution ! » son mot historique dans le surréalisme.—Sans doute.