Page:La Retraite de Laguna (Plon 1891).djvu/238

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différence des patients, peut-être aussi l’idée du repos succédant aux tortures des cahots de la marche, mais surtout ce détachement facile de la vie qui est propre aux Brésiliens et qui en fait si vite d’excellents soldats ; tous ne demandaient qu’une faveur, qu’on leur laissât de l’eau.

Sous tant d’impressions funestes, nous nous étions groupés autour de la tente du lieutenant-colonel Juvencio ; ses gémissements appelèrent sur lui l’attention de tous : le mal venait de le saisir lui-même. Il était déjà méconnaissable, la voix toute changée et sinistre. Courir à la baraque des docteurs fut notre premier mouvement, et nous en revenions, quand une détonation se fit entendre tout près de nous, suivie de plusieurs coups de feu des sentinelles ennemies. C’était le soldat de planton du quartier général qui s’était suicidé : d’affreuses crampes s’étaient subitement emparées de lui ; il venait de s’en délivrer.

Tous ces bruits s’étaient faits sans que le lieutenant-colonel désirât en savoir la cause, ou même qu’il parût en avoir le sentiment. Son agitation avait pris peu à peu le caractère d’une hallucination frénétique ; nous-mêmes, veillant