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nets lui servant à porter les mets à sa bouche. Sachant qu’Akechi était réputé pour son maintien scrupuleux, le page demeura convaincu qu’il n’y avait qu’une conspiration qui pût avoir absorbé le vassal au point de lui faire oublier l’étiquette à table. Le Shogun ne voulut pas attacher d’importance à des craintes qu’il trouva exagérées et qu’il attribua à la jalousie. Mais quelques nuits après, eut lieu la révolte au palais, et le page Samurai périt en combattant aux côtés de son maître et seigneur.


III


On raconte aussi l’histoire du « Samurai » qui tint sa parole : Hiraga Takamune, un grand Daimio du XVIe siècle. Après un siège de trois ans devant le château de Kannagee, il finit par être vainqueur au moyen d’un stratagème qui aurait fait honneur aux Spartiates des temps anciens. Sugihara Tadaoké, le défenseur du château, était fameux dans tout le Japon pour son habileté infaillible au tir à l’arc. Le siège durait déjà depuis trois ans, quand Hiraga Takamune se proposa enfin de mettre un terme à un carnage inutile, en engageant son ennemi à sortir du château, et en lui offrant de lui servir de but à deux reprises. Si Tadaoké le tuait à coups de flèche, le siège du château cesserait tout naturellement par la mort du Daimio ; s’il ne réussissait pas après avoir décoché deux flèches, il devait rendre la place à la condition qu’on lui laissât la vie sauve, ainsi qu’à ses hommes. Tadaoké, sûr de tuer son ennemi détesté, s’empressa d’accepter la proposition ; il offrit même de tirer à une distance double de celle qui était convenue et de choisir la nuit pour frapper son adversaire. La rencontre eut donc lieu, ainsi que l’avaient décidé les deux chefs, hors du château et au clair de lune. Hiraga s’assit sur un siège en attendant son sort. La première flèche perça sa poitrine. Sans faire un mouvement, il cria à son ennemi avec sarcasme : « Mon cher Sugihara, la vieillesse vous empêcherait-elle de viser ? Vous avez tiré trop bas. »

Tadaoké se laissa tromper et, visant trop haut la seconde fois, le trait passa dans les cheveux de Takamune. Tadaoké dut rendre la place. Après l’avoir quittée, lui et sa suite, ils rencontrèrent une troupe d’hommes qu’un autre Daimio avait envoyée à son secours. Ce Daimio accabla Tadaoké de reproches, ne comprenant point qu’il eût capitulé prématurément ; mais Tadaoké lui dit simplement ceci : « Hiraga a tenu sa parole et je veux tenir la mienne. Je préférerais plutôt perdre tous mes biens et ma vie que de perdre mon honneur comme Bushi. »