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IV


Un autre événement non moins dramatique a été fréquemment rappelé dans les derniers temps, au milieu des discussions japonaises soulevées par la capitulation de Port-Arthur. C’est la chute de la famille Shimidsu Muneharu, aussi connue sous le nom de Chozaemon, après la reddition du château de Takamatsu. Chozaemon était un petit baron résidant à Bitshu, quand le conquérant Taiko Hideyoshi envahit cette province. Chozaemon était vassal du clan de Mori. Quoique tous les autres vassaux se fussent rendus déjà, il refusa obstinément de suivre leur exemple, défendant son château contre les forces écrasantes de Taiko. Le siège durait depuis longtemps, quand Hideyoshi lui offrit, s’il voulait opérer sa soumission, de le faire prince de Bitshu ; la proposition fut rejetée par Chozaemon. À la fin, Hideyoshi détourna les eaux de la rivière Kambe dans le but d’inonder la forteresse et d’en déloger les défenseurs. Chozaemon s’obstina dans sa résistance, espérant encore obtenir du secours de Mori, son seigneur ; à la fin, un message de celui-ci, passé à travers les lignes ennemies, l’informa qu’il fallait renoncer à tout espoir de renfort et qu’il ferait mieux de se rendre. Voyant alors que toute résistance était inutile, mais dédaignant de survivre à la chute de la place, Chozaemon envoya dire à Hideyoshi qui lui offrait la reddition de la forteresse et le sacrifice de sa propre personne, s’il voulait, en échange, épargner la vie de ses hommes, celle des femmes et des enfants. La proposition ayant été acceptée, Chozaemon fit les préparatifs pour son suicide. Un des Samurais, craignant que son maître n’eût oublié quelque détail du cérémonial assez compliqué, prescrit en pareilles circonstances par les règles du Bushido, en matière de hara-kiri, se suicida lui-même pour montrer exactement à son seigneur comment il devait s’y prendre. Au jour convenu, Chozaemon, suivi de ceux des Samurais qui désiraient mourir avec lui, se rendit, en bateau, au lieu choisi où son suicide devait avoir lieu en présence des deux armées. Hideyoshi avait dépêché des envoyés à sa rencontre et fait préparer un riche banquet pour lui et sa suite. Après avoir pris part à ce qui devait être leur dernier repas, sans se départir un instant des manières gracieuses qui caractérisent un Samurai à table, Chozaemon se leva et, debout sur le pont de son bateau, en présence de la multitude qui attendait, il chanta un passage du grand drame de No, s’accompagnant lui-même des accords d’un samisen. Puis, le Samurai et lui se suicidèrent, selon le rite du hara-kiri, et conformément aux traditions du Bushido.

Cette scène de Chozaemon, chantant, l’éventail à la main, sur