Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/105

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d’Echigo se rendit cher au peuple des pays troublés, et même à ses ennemis, en s’efforçant de remédier à la disette de sel, causée par l’arrêt de tout trafic et l’hostilité envers le seigneur de Kai. Apprenant que cette calamité était tombée sur le peuple, Kenshin s’écria avec colère qu’il ne se battait que pour l’honneur des armes, et non pour semer les horreurs de la famine chez les pauvres gens des campagnes. Il fournit donc au peuple de Kai des chargements de sel provenant de ses propres magasins, et il défendit, en outre, aux marchands de sa province d’Echigo, d’élever le prix du sel dans leurs ventes avec les gens du dehors.

Kenshin était fameux par ses prouesses audacieuses. Souvent, à la tête d’une poignée d’hommes, il rechercha Shingen, voulant terminer sa querelle avec lui en un combat singulier. Un jour, dans la fameuse bataille de Kawanakajima (1554), il réussit à le rencontrer, au plus épais de la mêlée, et il allait le tuer, quand un des gardes du corps de Shingen, frappant de sa lance le cheval de ce seigneur, fit faire à l’animal un écart qui sauva la vie à son maître. Plus tard, quand une trêve fut conclue, Kenshin envoya une armure complète de prix à Shingen pour la remettre au loyal Samurai en récompense du service qu’il avait rendu. Ce fait, cité dans les traités japonais sur le Buskido, est l’exemple le plus célèbre du « témoignage rendu à l’ennemi ».

Quand Shingen mourut, en 1573, au moment où il se préparait à faire une autre incursion dans la province d’Echigo, la nouvelle en parvint à Kenshin pendant qu’il était à table. Il fut si bouleversé d’apprendre la mort de son rival qu’il ne put finir son repas. Il ne voulut pas écouter les conseils de ses vassaux et alliés qui lui disaient de profiter de la confusion régnant à Kai par suite de cet événement.

« Comment pourrais-je être assez méprisable », répondit-il, « pour essayer de renverser une famille, quand je n’ai pu y réussir du vivant de Shingen ? »

Kenshin, après le trépas de son grand rival et ennemi, ne prit plus jamais les armes contre Kai. Longtemps après, on apprit que Shingen, connaissant la noblesse du caractère de son rival, avait, sur son lit de mort, conseillé à son fils de faire la paix avec Kenshin, et même un traité d’alliance contre les autres Daimios. Katsuyori était trop fier pour suivre l’avis de son père, mais quoique n’étant plus harcelé par Kenshin, il succomba à la fin avec sa tribu aux attaques du Shogun de Nobunaga. La chute de cette noble famille (1582) est un des faits les plus tragiques de l’histoire du moyen âge au Japon.