mit à rire de nouveau d’un rire rauque prolongé, comme s’il s’étranglait.
— Pourquoi rit-il ? s’indigna quelqu’un, — écoutez, cessez !
Celui-là s’étrangla encore une fois, rit faiblement et se tut, docile. Le jour tombait, le nuage descendait sur la terre et nous distinguions à peine nos figures jaunes de fantômes. Quelqu’un demanda :
— Où est donc « Botik » ?
Nous appelions ainsi un de nos camarades, petit officier aux bottes énormes, imperméables.
— Tout à l’heure il était ici. Botik, où êtes-vous ?
— Botik, ne vous cachez pas, nous sentons l’odeur de vos bottes.
Tous rirent et, interrompant ce rire, une voix rude, indignée, sortit de l’obscurité.
— Cessez, comment n’avez-vous pas honte ? Botik a été tué ce matin à la reconnaissance.
— Il y a un instant, il était parmi nous. C’est une erreur.
— Vous vous êtes trompé. Eh ! vous de derrière le samovar, coupez-moi une tranche de citron.
— Et à moi ! Et à moi !
— Il n’y a plus de citron !
— Qu’est-ce donc, messieurs ? fit entendre presque en pleurant une petite voix contrariée, angoissée. — Je ne suis venu que pour le citron.
L’autre se mit à rire de nouveau, longuement, d’un rire étouffé, et personne ne le fit taire. Mais il se tut aussitôt de lui-même, ricana encore et se tut. Quelqu’un dit :
— À demain l’attaque.
Et quelques voix agacées crièrent :
— Laissez donc ! Quelle attaque ?
— Vous le savez vous-mêmes.
— Laissez ! est-ce qu’on ne peut parler d’autre chose ? Qu’est-ce donc enfin !
Le couchant s’éteignit. Le nuage se leva, l’atmosphère devint plus claire et les visages parurent plus familiers et celui qui tournait autour de nous vint s’asseoir.
— Comment est-on maintenant chez nous ? demanda-t-il vaguement, avec le sourire d’un homme perplexe.
Et tout redevint terrible, inexplicable, étranger, jusqu’à la terreur, jusqu’à la folie.
Et brusquement tous nous nous mîmes à crier, à parler, à nous agiter en déplaçant les verres, en nous touchant par les épaules,