Page:La Revue, volume 56, 1905.djvu/95

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succès, a-t-on ajouté, est dû aux études militaires modernes. Tout cela n’est vrai qu’à moitié. Les canons et les fusils les plus modernes ne tirent pas seuls. Le système d’éducation militaire le plus parfait ne peut faire d’un lâche un héros. Non, les batailles sur le Yalou, en Corée et en Mandchourie, furent gagnées par les âmes de nos pères guidant nos bras et battant dans nos cœurs. Elles ne sont pas mortes, ces âmes, les esprits de ces guerriers, nos ancêtres. Ceux qui ont des yeux pour voir peuvent les voir distinctement. Nos hommes, tout en ayant les idées les plus modernes, conservent en entier toutes les traditions du passé dans leur cœur. C’est avec raison que nous disons : « Grattez un Japonais, et vous trouverez un Samurai. »


Il en est de même du proverbe français : « Grattez le Russe, et vous trouverez le Tartare. » Chose assez curieuse, c’est aussi un Russe qui a le plus ouvertement émis la théorie que ce n’est ni la perfection des armes, ni la supériorité du nombre, ni le génie des chefs, qui remportent les victoires et font le succès à la guerre, mais plutôt l’esprit des hommes derrière les canons et l’esprit du peuple derrière les hommes. C’est dans le livre remarquable de Tolstoï, Guerre ou Paix, que je trouve cet enseignement. Dans son autre livre sur La Physiologie de la Guerre, le même auteur insiste sur cette question d’une façon encore plus précise ; il s’exprime ainsi qu’il suit :


« La science militaire juge la force des troupes par leur nombre. C’est Napoléon qui a dit que le Dieu des batailles est toujours du côté du plus grand nombre de bataillons.

« Une telle assertion fait reposer la force d’une armée, suivant la science militaire, sur cette théorie en mécanique, qui, considérant des corps en mouvement, et par rapport à leurs masses seulement, affirme que leur force de mouvement est égale ou inégale, selon que leur masse est égale ou inégale. En guerre, le mouvement des troupes est le produit de la masse multipliée par une quantité inconnue x.

« La science militaire ayant découvert, en relevant un grand nombre d’exemples dans l’histoire, que les masses de troupes ne correspondent pas à la force des armées, et que de petits détachements en ont vaincu de gros, admet confusément l’existence d’un facteur inconnu qu’elle cherche à s’expliquer, tantôt par des combinaisons géométriques, tantôt par des différences dans l’armement, mais surtout, — parce que cela lui semble le plus simple, — par des différences dans le génie des chefs.

« Mais c’est en vain que l’on attribue cette faculté au facteur en question ; les résultats ne sont pas en harmonie avec les faits historiques. Il faut renoncer à cette fausse idée, tant chérie des créateurs de héros, que si les dispositions prises par les généraux