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Page:La Revue belge, année 4, n° 80, 15 août 1891 (extrait Lamento).djvu/5

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Mon amour eût été la barque de Charon,
Pour te faire passer le Styx et l’Achéron.
Oh ! les fleuves sont noirs sur les terrestres grèves !
Dante n’en a pas vu de plus noirs dans ses rêves.
Mon amour eût été la barque de Charon,
Pour te faire passer le Styx et l’Achéron.

Mais tu n’as pas voulu m’octroyer ton obole :
Jeune fille dis-moi, comprends-tu le symbole ?
Bientôt viendra la nuit sinistre et sans fallots,
Je ne sais pas comment tu pourras passer l’eau.
Car tu n’as pas voulu m’octroyer ton obole ;
Jeune fille, dis-moi, comprends tu le symbole ?

Quand on n’a pas offert l’obole au nautonnicr.
Cent ans au bord du Styx on reste prisonnier.
Je vois s’enfler ma voile aux brises alisées :
Adieu ! je pars tout seul pour les champs élysées.
Quand on n’a pas offert l’obole au nautonnier,
Cent ans au bord du Styx on reste prisonnier.

Le Phlégéton dans l’ombre au loin se réverbère,
Et dans l’affreuse nuit hurle le chien Cerbère.
Sur la rive du Styx la foule des captifs
Se démène en poussant des cris longs et plaintifs.
Le Phlégéton dans l’ombre au loin se réverbère,
Et dans l’affreuse nuit hurle le chien Cerbère.

Tu verras Lachésis, Atropos et Clotho
Assises en baillant au pied d’un noir coteau.
Ainsi qu’un bon génie au dévouement d’un drame
Tu voudras de mes jours recomposer la trame.
Tu verras Lachésis, Atropos et Clotho
Qui t’attendent là-bas au pied d’un noir coteau.

Mais tu surviens à l’heure où Clotho la fileuse
A vidé la quenouille avec sa main calleuse ;
Lachésis a rempli les sinistres fuseaux ;
Atropos dans ta main posera les ciseaux ;
Car tu surviens à l’heure où Clotho la fileuse
A vidé la quenouille avec sa main calleuse.

Auras-tu quelquefois un tendre souvenir
Pour celui dont l’amour ne doit plus revenir ?
J’ai noyé dans l’oubli mon amour virginale.
Qui donc m’appelle encor sur la rive infernale ?
Auras-tu quelquefois un tendre souvenir
Pour celui dont l’amour ne doit plus revenir ?

Des rives du Léthé j’entrevois le mystère,
Je romps le dernier nœud qui m’attache à la terre.
Dans mon cœur agité par les derniers adieux,
Je sens filtrer le calme invincible des dieux.
O rives de Léthé, bosquets pleins de mystère.
Je romps le dernier nœud qui m’attache à la terre.

Pourtant j’hésite encore : au delà du tombeau
L’amour éteint peut-il rallumer son flambeau ?
O femme, dans mes bras pâmée et demi-nue,
Divine volupté que je n’ai pas connue !
C’est pour vous que j’hésite : au delà du tombeau
L’amour éteint peut-il rallumer son flambeau ?

Toi que j’ai tant aimée, adieu ! plus d’espérance !
Mon amour harcelé succombe à la souffrance.
A peine si vingt fois j’ai vu les fleurs s’ouvrir
Et les bois verdoyer ! pourtant je vais mourir !
Toi que j’ai trop aimée, adieu ! plus d’espérance !
Mon amour harcelé succombe à la souffrance.

Mon amour eût couvert ton front comme un palmier
Où gémit la colombe à côté du ramier.
Dans la chaleur du jour, dans les nuits langoureuses,
Où l’âme s’abandonne aux choses amoureuses,
Mon amour eût couvert ton front comme un palmier
Où gémit la colombe à côté du ramier.