Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/58

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d’accepter l’autorité des savants, comment lutter contre ceux qui ont pour mission de tromper ? Que nous reste-t-il ?

— La vérité, répondit M. Tacaud, s’étend peu à peu malgré les hommes ; les générations naissent et s’éteignent, il y a des bonds en avant et des mouvements de recul, mais les découvertes s’entassent sur les découvertes et les champions des erreurs traditionnelles voient se restreindre chaque jour le terrain qu’ils défendent avec acharnement. Vous réclamez le droit d’accepter l’autorité des savants ? On le retournera contre vous. Qui est-ce qui décerne le brevet de savant ? Ne l’accorderez-vous pas volontiers, ce brevet qui donne le droit de disserter de omni re scibili, à tout individu qui partagera vos idées ? Mais l’Église aussi a ses savants ! Ne vous a-t-on pas répété à satiété qu’une des plus ingénieuses découvertes de notre époque, le radioconducteur grâce auquel la télégraphie sans fil a pu entrer dans la voie de la réalisation, est l’œuvre d’un professeur de l’Institut Catholique ? Et puisqu’il y a, dans les rangs des dogmatistes, des savants qui ont, comme vous dites, le droit de parler au nom de la Science, qui osera soutenir ensuite l’existence d’un conflit entre la Science et la Foi ?

» Vous voyez combien il est dangereux de se servir de l’argument d’autorité ; si l’on s’en sert soi-même on ne peut en refuser l’usage à ses adversaires et alors à quoi se résumera une discussion ? à une statistique ! on comptera de part et d’autre le nombre des savants brevetés qui appartiennent aux deux partis en présence, et, dans cette numération chacun tirera la couverture à soi ; ce sera une joute ridicule. Brunetière réclamait récemment pour l’Église la théorie transformiste, sous prétexte que le cardinal Newman en avait parlé dix ans avant Darwin ! Il oubliait d’ailleurs de dire que cela s’était passé quarante ans après Lamarck. Mais que voilà donc de pauvres mesquineries ! Un homme qui a raison a raison contre cent mille individus qui ont tort.

» Et d’ailleurs, dans notre génération, vous seriez sûr d’être toujours en minorité à cause de l’éducation qui est religieuse ; parmi ceux que vous appelez les savants, presque tous ont étudié des questions qui ne se rapportent ni de près ni de loin à l’enseignement dogmatique, et parmi ceux-là la plupart sont vraisemblablement restés fidèles à ce qu’on leur a appris quand ils étaient petits. De nos jours, je vous le répète, les biologistes se trouvent à peu près seuls en lutte avec le dogme qui a cédé sur les autres points, géologie et astronomie par exemple.

— Acceptons donc, dit le médecin, l’autorité des seuls biologistes pour ce qui ne regarde que les seuls biologistes.