Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/57

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braves gens partout, mais il y a aussi des besogneux qui se procurent des moyens douteux d’existence en flattant la colère des partis ; il y en a avec vous comme il y en a contre vous.

Et puis, vous devez songer aussi que les hommes s’habituent volontiers à la puissance et que lorsqu’ils ont le pouvoir ils s’y raccrochent par tous les moyens possibles ; les gens d’église ont, dans la société humaine, une situation privilégiée grâce à la croyance au dogme ; il est donc assez naturel qu’ils tâchent de prolonger cette croyance de toutes leurs forces ; nous ne devons pas demander à tous les hommes d’être des héros.

— Enfin, vous admettez tout de même qu’il puisse y avoir de l’intérêt et du calcul dans la ferveur des croyants…

— Je suis convaincu que parmi les ecclésiastiques comme dans les autres catégories d’hommes, il y a des gens qui font passer leur intérêt avant le souci de la vérité ; je suis convaincu aussi que les avantages attachés à la situation de prêtre décident de la vocation de certains jeunes gens ; voyez par exemple, dans nos familles bretonnes, le respect dont on entoure le fils devenu vicaire ; ses frères ne lui parlent plus qu’en l’appelant M. l’abbé. Mais est-ce que dans le choix d’une autre carrière pour leur enfant les parents obéissent à des sentiments altruistes ? Se demandent-ils s’il sera un homme utile ou bien s’il gagnera beaucoup d’argent ? Ne reprochons pas à nos adversaires ce que nous approuvons chez nos amis. Vous êtes un très honnête homme et vous avez le droit de dire beaucoup de choses, mais vos paroles, dans la bouche d’un personnage de moralité moyenne, feraient penser à la parabole de la paille et de la poutre.

— Vous êtes tout à fait déconcertant, répondit le médecin ; quoi que vous disiez, je resterai convaincu qu’il faut combattre ses adversaires avec les armes qu’ils emploient. Les curés se moqueront de vous quand vous leur parlerez au nom de la science…

— Personne n’a le droit de parler au nom de la science, interrompit vivement Fabrice ; c’est là une formule malheureusement très employée et qui n’est qu’une manière déguisée de présenter l’argument d’autorité. On a seulement le droit de se réclamer de la méthode scientifique, encore doit-on prouver à chaque instant, par la logique de ses déductions, que l’on est véritablement imbu de cette méthode ; un sophisme, dans la bouche d’un savant, reste un sophisme ; il est seulement plus dangereux, parce que des gens habitués à entendre un professeur, qui d’ordinaire raisonne sainement, se laissent volontiers aller à ne pas éplucher son argumentation et sont plus facilement victimes de son erreur.

— Alors, dit le docteur, si nous n’avons même plus le droit