Page:La Revue blanche, t30, 1903.djvu/59

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— Il y a aussi des biologistes d’Église, reprit Fabrice, et l’on ne manquera pas de vous dire que ce sont les meilleurs ; ce n’est pas mon avis, mais je suis intéressé dans le débat. Le professeur Grasset, de Montpellier, a publié récemment un livre dans lequel il démontre (?) que Spencer et Hæckel, par exemple, ont émis des opinions insoutenables. L’auteur dit bien, dans sa préface, qu’il n’est pas un professionnel de philosophie (il aurait pu dire de biologie), mais comme il conclut que la science ne saurait atteindre la foi, et que c’est là une bonne conclusion, le voilà autorité. Parlez Darwin ou Huxley, on vous répondra Grasset et vous n’aurez rien à dire. Cependant son ouvrage est fait de citations empruntées de droite et de gauche à des auteurs de valeurs très différentes ; quelques-unes des citations sont même tronquées et dénaturées, mais M. Brunetière a approuvé cette méthode de combat. Le bon livre de M. Grasset sera très utile à son parti.

— Et vous voulez que nous nous laissions faire tranquillement, sans protester, dit le docteur avec colère ; vous ne voulez pas que nous soyons anticléricaux ; ces bons livres comme vous les appelez, seront répandus à profusion et étoufferont la vérité que les vrais savants ont tant de peine à découvrir.

— La vérité ne peut plus être étouffée, répondit M. Tacaud. Chacun a le droit aujourd’hui de publier ce qui lui plaît et si les partis ont le pouvoir de recommander ou de condamner tel ou tel ouvrage, ils n’ont pas celui d’en arrêter un complètement. Nous ne sommes plus au temps des auto-da-fé. On n’est pas brûlé pour avoir émis une opinion contraire au dogme.

— Et à qui, s’il vous plaît, devez-vous cette liberté de répandre vos idées ? dit le docteur. N’est-ce pas le mouvement anticlérical qui a obtenu peu à peu cet avantage incontestable ? N’est-ce pas ce parti anticlérical, dont vous méprisez tant l’approbation, qui…

— Pardon, pardon, interrompit Fabrice en riant. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Vous m’avez avoué que vous êtes matérialiste, ou du moins que vous avez de la sympathie pour les théories matérialistes, parce que vous êtes anticlérical, et je vous ai répondu, comme matérialiste, qu’une approbation de cette nature ne pouvait en aucune manière intéresser les chercheurs ; ils ne doivent pas tenir compte d’une opinion dictée par l’esprit de parti. Voilà ce que je vous ai dit. J’ai affirmé en outre que vous n’arriverez pas à imposer la vérité en vous servant de l’argument d’autorité, et que cette vérité finira par éclater d’elle-même. Vous construisez, mais vous construisez sur le sable et pendant ce temps, à l’abri de votre bâtisse éphémère, la science édifie un temple éternel. Voilà tout ce que je voulais vous dire. Quant à