Page:La Revue blanche, Belgique, tome 2, 1890.djvu/468

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j’ai l’air de prêcher pour mon saint, Saint Antoine : c’est que je l’aime beaucoup en effet, et puis je me sens un peu fier de l’avoir découvert, ce garçon ; car je puis le dire…

Une petite fille fait joyeusement irruption dans la pièce ensoleillée.

— Ça, me dit son grand-père auquel elle tend les joues, c’est ma petite Nénette,vous voyez. Dis bonjour au monsieur, ma chérie… Elle vient pour son goûter ; elle veut toujours que ce soit moi qui lui prépare ses tartines de confiture.

La petite, un peu radoucie, me tend la main : je l’embrasse sur le front, ému de ce touchant tableau de famille.

L’enfant partie, Louis Alfred reprend :

— Oui je vous disais : le théâtre… Vous verrez, vous êtes encore assez jeune pour ça..,.

Un silence. Je me hasarde à demander au maître ce qu’il pense des symbolistes.

— Dame, je ne puis guère vous répondre : je connais assez peu leurs œuvres ; pourtant il y en a, je crois, qui promettent : Stéphane Mallarmé, Pailleron, Verlaine, Maeterlinck, Henri de Régnier, St-Malo.

— Saint Malo ?… le frère d’Hector ?

— Précisément ; le poète psychologue, l’auteur de Polichinelle.

— Oui, je me souviens.

— D’autres encore ont de l’avenir ; mais, je vous le répète, je les connais peu. D’ailleurs j’ai les yeux bien affaiblis et je ne peux plus guère lire que la prose.

— Cher maître, permettez moi une question encore. Croyez-vous qu’il y ait, comme on le dit, un rapport entre la chute du Naturalisme et celle de la Société des Dépôts et Comptes-Courants ?

— Ce n’est pas mon avis : le Naturalisme a toujours montré au public la vérité toute nue ; tandis que la Société des Dépôts… Quoiqu’il en soit, dans le camp naturaliste ça devient un sauve-qui-peut véritable.

— Moi aussi, pensai-je, il faut que je me sauve.

Et je sortis en remerciant M. Louis Alfred Natanson qui m’accompagnait jusqu’à sa porte.