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M. J. DEGERAISME

M. J. Degeraisme, qui n’est âgé que de trente-trois ans, possède une physionomie éminemment parisienne et boulevardière, et dont la douceur distinguée inspire irrésistiblement la sympathie. C’est d’ailleurs une des personnalités les plus en vue du Tout-Paris élégant et sportif. Son charmant buggy vert-pâle fait l’admiration de nos clubmen les plus select ; il est peu de jeunes gens aujourd’hui qui n’aient adopté la coupe de ses cheveux et de ses pantalons : quant à ses cravates, elles sont légendaires.

Je trouve M. Degeraisme dans sa fameuse salle de bain en porphyre : il est complètement nu : à ses pieds une pédicure, en train de lui polir le talon gauche.

— Entrez donc, ça ne fait rien : je vous attendais ; du reste Madame a fini.

En effet, la vieille femme range ses ustensiles d’ivoire, prend congé et disparaît derrière une sombre portière en tapisserie qui retombe lourdement.

— À ce que je vois, cher maître, vous avez grand souci de votre personne physique.

— Ne trouvez-vous pas cela bien naturel ? Quant à moi, j’ai autant d’horreur pour les gens qui ne se lavent pas les pieds que pour les sénateurs eux-mêmes. Je consacre trois heures par jour aux soins de mon corps. D’ailleurs j’ai fait deux parts dans ma vie, l’une pour les exercices physiques, l’autre pour le rêve.

— Oui, l’art, la littérature….

— Comment : la littérature ? Mais non, pas la littérature. Écrire ? — À quoi bon ? Lire ? J’ai lu plusieurs livres. Aujourd’hui, je ne lis plus rien du tout, estimant que c’est se reconnaître inférieur que de lire ; c’est tout au moins chercher au dehors une somme de jouissance que l’on avoue ne pouvoir trouver en soi-même… et quand on est ce que je suis…

M. Degeraisme appuie du doigt sur un bouton de platine :