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n’est rien que son patient regard gracieusement ne comprenne, et je pense qu’elle n’eut pas besoin de me voir à la main « Le Jardin de Bérénice » pour savoir que je goûtais ce roman, — puisqu’elle sut aussi ce que la brochure jaune ne pouvait lui apprendre : comment je l’aimais. Diotime dont l’intuitive beauté suppléa à la sagesse qui me manque me prit gentiment la main entre les pures siennes, et, parmi les tendresses de son geste familier, m’initia délicieusement à bien des choses, que j’avais jusque-là souhaité ignorer toujours, — (ou ne plus ignorer, je ne me souviens pas : — mais qu’importe, et qu’en sais-je ?).

一 « Il convient que je vous fasse le mérite, me dit elle, d’aimer, sans l’avoir lu, le livre dernier de M. Barrès. Il est d’une mauvaise méthode de lire un récent ouvrage : cela pourrait gâter la belle idée qu’on s’est faite de l’auteur : et ne dut-il qu’y gagner, combien n’y perdrait-on-pas ? Les opinions coûtent trop à acquérir, pour n’être pas prudents à les engager dans les affreux steeple-chases des convictions éventuelles. Surtout, s’il est question, en ce roman, comme je l’ouïs conter, de politique, du sort des jeunes femmes, enfin de sociologie individuelle, toutes sciences des plus délicates. Sans doute. M. Barrès explique-t-il avec sincérité, comment, d’un profond dégoût de l’humanité, naît le désir de lui rendre visite et de la représenter. Que cette logique est équitable ! Le dégoût qui faiblit ne se retrempera-t-il toujours pas dans la fréquentation du tiers-état ! et la pitié, indispensable à toutes émotions un peu raffinées, n’est-il pas que le menu peuple pour l’alimenter ? C’en est la source naturelle, d’ailleurs sans morosité, que l’héréditaire misère de ceux qui ne réclament qu’un rien de ce qui leur est dû, pour que la franchise de leur bonheur fleurisse : les y aider, l’aimable jardinage ! Le bonheur populaire est le bourgeon, toujours formé, du printemps éternellement dispos de leur bonne humeur. Et j’aime à supposer qu’aux cultures de sa belle terre, M. Barrès a voulu ajouter celle moins intensive de ce simple brave champ…