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devant l’extrême réserve de leur ambulante clientèle, par régulières chutes, ils le font descendre de la boite à deux francs à la boite à deux sous :
xxLes livres ne se vendent pas.

Mais l’auteur a ouï dire par des camarades pince-sans-rire qu’on trouve son œuvre « dans le commerce ». Subrepticement il fait un tour le long des parapets, en vague espoir de rencontrer son livre coté « première édition, vingt francs. »

Et l’un après l’autre il découvre ses exemplaires, les trois-cent trente-trois exemplaires numérotés, à la presse, et les rachète dix centimes.

Alors (qu’en ferait-il ?), il restaure de son mieux les feuilles de garde lacérées, aux dédicaces arrachées, et compose de nouvelles adresses pour ses amis, en toute affectueuse cordialité.

Ceux-ci visitent leurs bouquinistes… mais les bouquinistes n’en veulent plus : ils aiment mieux trafiquer les Chéret :
xxLes livres ne se vendent pas.

Enfin les amis se décident à caser le volume dans leur bibliothèque. À l’occasion (qu’en feraient-ils) ils en font montre à leurs familiers à seule fin qu’on n’ignore point que leurs livres sont de tirages rares (trois cent trente-trois exemplaires numérotés à la presse), qu’ils furent offerts par les écrivains leurs amis, bien affectueusement, et que, pas plus qu’ils ne payent au théâtre, ils ne payent au libraire :
xxLes livres ne se vendent pas.

Mais un beau jour, un ami d’ami à qui l’ouvrage est prêté, le découpe, le lit, s’en enthousiasme, et, dans un article retentissant, il le lance.