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Page:La Revue blanche, Belgique, tome 3, 1891.djvu/61

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ment dominant et exclusif à l’origine s’amoindrit quand naît l’amour du clocher, qui à son tour s’affaiblit à l’apparition du sentiment national, et celui-ci enfin se trouve diminué par le cosmopolitisme. Il est évidemment que la hiérarchie de ces sentiments n’est pas la même pour chacun même vivant en un même temps. Par exemple, un artiste dévoué à son rêve ne demandera à la patrie que le laisser en paix, en échange des impôts qu’il paye volontiers. Le sentiment latent de la nécessité de conservation de la langue, des mœurs, des institutions où il a coutume de vivre ne constitue qu’un très faible patriotisme. Il n’y a ni à l’en louer ni à l’en blâmer, non plus que tel autre pour qui les liens de la famille sont insupportables. S’il y avait une profession de foi à signer, je suis sûr que M. Remy de Gourmont adhérerait (comme nous) à un programme de paix universelle, sans la fameuse restriction, à la fin lancinante, pour une défaite d’autrefois. Qu’un autre, victime ou témoin de cette défaite conserve intact le souvenir et caresse l’espoir d’une revanche, il me semble également difficile de l’en blâmer. Cependant, et c’est ici qu’il faut pleinement donner raison à notre confrère, il est avéré que le progrès tend au cosmopolitisme, les difficultés de la vie extérieure, raisons d’être des solidarités plus ou moins étroites allant s’amoindrissant de par l’universelle police. Il est fâcheux, et dangereux, d’hypertrophier un sentiment qui sera demain archaïque. C’est contre le patriotisme clâmé, professé, agité comme un joujou que s’est élevé M. de Gourmont. Qu’on enseigne, si l’on veut le sentiment patriotique comme supérieur à l’amour limité du clocher, à la condition qu’on enseigne le sentiment cosmopolite comme supérieur au patriotisme. Surtout qu’on n’éprouve pas le besoin de présenter comme digne d’être discutée, au début d’un cours sur Kant, l’objection : « C’est une métaphysique allemande », comme je l’ai entendu faire, en 1890, par un maître que j’estime. — En un mot l’idée de patrie, très admissible, devient insupportable si on la fait exclusive, comme fut l’idée de burg des féodaux, si on la fait primor-