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diale, sacrée. Il n’y a pas d’idée sacrée, parce que toute idée a le droit de vivre, et, aussi bien qu’une autre, l’idée contraire de celle prétendue indiscutable. Voilà le second point que l’incident Gourmont invite à toucher. Quel est le droit d’un état sur la pensée d’un citoyen ? Ici il n’y a même point à discuter. Il n’en a aucun. En matière de conscience on peut affirmer et il serait trop aisé de prouver qu’il n’est pas de milieu entre la liberté et la contrainte, c’est-à-dire l’Inquisition.

Voudra-t-on croire que ces préliminaires ne sont pour rien dans le jugement à porter sur la Sixtine de M. de Gourmont ? D’ailleurs ce n’est pas un compliment de complaisance ou de condoléance que mérite ce livre. Je suis stupéfait, l’ayant lu près d’un an après son apparition, d’en avoir ouï si peu parler, Sixtine est un chef-d’œuvre. Le mot est bien gros, oui, mais si on accorde qu’un chef d’œuvre est une œuvre originale et harmonieuse (en laissant à ces mots leur sens entier) ne serait-ce pas injuste pour des chicanes de détail de n’en pas concéder le titre à l’œuvre de début de M. de Gourmont, œuvre de début d’un esprit mûr qui n’a point gaspillé son naissant talent, qui a eu le courage de ne signer son maître ouvrage qu’à trente ans passés, sinon à quarante ? Son éditeur[1] nous en annonce plusieurs autres. L’auteur ne les écrirait pas, qu’il laisserait son livre, car Sixtine est plus qu’un roman. Je ne sais ce que M. Remy de Gourmont a mis de lui dans ce récit de vie cérébrale. Il est à croire que pour toute la partie intellectuelle de son livre, c’est sa propre cérébralité qu’il a mise en pages. Quoiqu’il en soit, il a écrit comme on ne l’avait pas encore écrit le roman de l’homme de lettres En Ménage, cet autre chef-d’œuvre, était l’histoire d’un exceptionnel littérateur, impuissant et maladif. Hubert d’Entragues, le héros de M. de Gourmont, est un type plus simple, plus humain. Il possède éminemment les deux vertus de l’artiste de lettres une sensibilité aigüe et active un don d’analyse, desséchant et négatif. C’est du jeu de ces deux éléments nécessaires à l’artiste, mais contradictoires

  1. M. Albert Savine.