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même employé par l’auteur de Pour l’Ombre,ici paru. Mais M. Thadée Natanson n’a pas comme M. Remy de Gourmont l’excuse d’écrire l’histoire d’un littérateur, où tous les procédés du métier, sont à employer. Je dis excuse, parce que j’aurais plus d’une objection contre l’abus des épigraphes, systématiques, et je les présenterai, si vous voulez, quand s’éditera le roman de mon collaborateur. — L’exécution de M. de Gourmont est supérieure. D’une nervosité mystique dans les morceaux de rêve, il devient d’une rigoureuse subtilité dans les parties d’analyse. Sa rédaction est d’un « prosateur strict et toujours à la quête du mot juste, jeune ou vieux, rare ou commun, mais de signifiance exacte. » Il caractérise lui-même ainsi le style d’Hubert, et je ne saurais autrement caractériser le style du chef-d’œuvre d’âme, d’intelligence et d’art qu’est la Sixtine de M. Remy de Gourmont.

M. Jean Thorel a mis au net les notes prises au cours de ses Promenades sentimentales[1]. M. Thorel promène sa sentimentalité sous une série de ciels tristes pour illuminer par le demi-jour qui l’éclaire le mieux chaque nuance de sa mélancolie. De ses Promenades et des réflexions du retour, il dégage sa dominante, qui est un altruisme inassouvissable. Il adore la vie, et la vie ne peut l’adorer, parce que les êtres qui répondraient le mieux à cet amour l’ignorent, et lui « même les ignore, attendu qu’il n’aime d’eux que l’image qu’il en a inventée. « J’imaginai une existence tout entière réservée à la simple amitié, puis élisant pour éternel frère tel d’entre les rares qui presque totalement me requièrent, je me pris à vivre en sa virtuelle présence. Nous cheminions confiants par la vie, nous soutenant l’un l’autre, et pour la première fois j’eus l’éblouissement que c’était l’unique voie où fut encore possible pour moi du vrai bonheur. Mais ce bon rêve était trop beau, et de nouveau la force me manque de le vivre en totalité uniquement de ma vie cérébrale : je me rappelai soudain que ce même homme qu’en mon hallucination j’avais vu près moi,

  1. Paris, Perrin éditeur.