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Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/138

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Un nouvel album de Redon


Il y a, pour l’artiste épris de pures pensées, quelques rares joies dont le souvenir ne s’éteint jamais dans la mémoire de celui qui en perçut l’accord et en connut la sensation. C’est ainsi, qu’avoir entendu une symphonie de Beethoven, avoir pénétré le sens intime d’un poème de Rossetti ou de Morris, s’être recueilli devant le Crépuscule d’un Whistler ou d’un Jongkind, équivaut à quelques-unes de ces rares minutes de la vie où il est permis à l’être de s’affimer jusuq’à l’essence même du génie, au contact de celui qui en a su revêtir la splendeur et en a su pénétrer l’éclat impérissable et éblouissant. Il est des instants où la musique, le rythme poétique ou l’impression colorée agissent sur nos sens avec l'intensité grave de hautes prophéties et avec la même bienheureuse volupté que si nous nous trouvions à quelques-uns des instants les plus beaux de notre existence ou à quelques-unes des heures les plus admirables de notre destin, Je pense aussi, pour ceux à qui la compréhension de ces choses est donnée. que méditer les Pensées de Pascal, lire Ulalume ou le Portrait ovale, et feuilleter les Caprices, les Proverbes ou bien le Juré et l’Hommage à Goya, constitue un ensemble de quelques-unes des minutes les plus solennelles de nombreuses années et plusieurs des étapes reposantes où il est permis de s’arrêter, sur le parcours idéal qui conduit de la naissance à la mort.

M. Maeterlinck, dans d’admirables pages sur le tragique quotidien, explique que celui-là qui aura su se recueillir, au milieu de la modestie humble de la vie ordinaire et qui ne sera pas resté insensible à la signification des choses les plus vulgaires alors que, dans sa cité intérieure, de belles pensées étaient en liesse, celui-là assistera à de plus beaux drames, à de plus hautes tragédies, à de plus graves spectacles que s’il était allé entendre OEdipe, Hamlet ou Assuérus discourir sur le théâtre. Dans l’atmosphère que son imagination peuple de vies embryonnaires, dans le silence où se meuvent les ombres invisibles dont il devine les contours, dans la paix ineffable où tout se fait confidentiel et pitoyable,