Page:La Revue blanche, t11, 1896.djvu/175

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d’enfer. Il n’eut que le temps de se blottir dans un fourré où, sans oser respirer, épouvanté surtout par le fait de sa propre imagination excessive, il se tint blotti longtemps, après même que le bruit se fut éteint dans l’éloignement.

On le revoit au pays natal, après cette odyssée, dans un état d’inquiète exaspération. Héros malheureux, il confie à son fidèle ami, Ernest Delahaye, ses navrantes impressions et ses miséreuses aventures. S’il est à Charleville, ce n’est pour longtemps. On dirait qu’il a pris goût au malheur : il veut connaître l’opprobre, la honte ; tout ce qui fait souffrir les hommes, tout ce qu’ordinairement ils exècrent, il souhaite de le vivre. Il jouira tout le mal et tout le bien. Il aspire à la perfection, à une totalité d’humanité ; cela naturellement, instinctivement, sans que sa modestie de sorte étrange se rende compte qu’ainsi il se divinise.


C’est pendant la Commune qu’Arthur Rimbaud échoua une troisième fois dans la capitale.

Venu de Charleville à pied, il se présente aux insurgés comme un frère de province admirateur de Blanqui et désireux de prendre part aux dangers des revendications populaires. Son pauvre aspect excite la solidarité des bons communards, que ses belliqueux propos et son attitude avaient, dès l’abord, séduits : une collecte est faite à son profit. Il la dépense aussitôt avec les camarades. Enrôlé, non dans les « Vengeurs de Flourens », comme il est dit par erreur dans Verlaine héroïque, mais dans les « Tirailleurs de la Révolution », il figure dans l’effrayante fantasmagorie de la guerre civile, assiste en acteur à ce carnaval de la tuerie et de l’incendie. Enfin, après la défaite de la Commune, malgré l’occupation des postes aux fortifications par les troupes versaillaises, il réussit à se sauver et regagne à pied les Ardennes.

Paris se repeuple, Chant de Guerre parisien sont d’alors. C’est tout le tumulte, toute la haine, en même temps que toute la cocasserie généreuse de l’insurrection parisienne.

Dans Charleville, un ou deux mois après, il écrira Les Premières Communions et ce Bateau ivre, si terribles et si orageux aussi. Puis, au mois d’octobre de la même année 1871, ses dix-sept ans n’étant pas encore sonnés, il viendra, après un échange de lettres avec Verlaine, ainsi que nous l’avons naguère raconté ici, « prendre terre et langue ès la ville à Villon », grâce au louis à lui octroyé par un ami, M. Deverrière, auquel il a confié son espoir justifié de les étonner tous, ces poètes du Parnasse contemporain avec qui il va, enfin, fréquenter !


Nous sommes au temps de la vie dite parisiennement littéraire d’Arthur Rimbaud. Elle durera jusqu’à sa fuite avec Verlaine en Belgique. Ses faits et gestes d’alors, malgré des traces laissées nombreuses dans le souvenir d’un monde des Lettres, n’en demeurent pas moins de signification obscure. On a compris généralement mal, souvent pas du tout ; on a même systématiquement expliqué à côté ; puis, la lâcheté et l’hypocrisie s’en mêlant, on a interprété à rebours. Pour un Charles Cros et un